L`Intermède
Virgin suicides
La Vie nouvelle - The New Life constitue une série majeure de l'oeuvre de la photographe française Lise Sarfati. De son ouvrage publié en 2005, la Magnum Gallery, à Paris, expose six portraits en grand format, interrogeant l'entre-deux qu'est l'adolescence, ce passage entre l'enfance et l'âge adulte, où les repères et les regards se perdent.


Terry, Mark, Claire... Leur regard est ailleurs, dans le vide ; à moins qu'ils ne soient happés par quelque chose qu'eux-seuls peuvent percevoir. Ils sont à la fois présents et absents, comme inconscients de ce qui les entoure, préoccupés par eux-mêmes. La Vie nouvelle porte l'égarement, la solitude, la détresse propres à l'adolescence. Comme un écho à ce qu'a vécu Lise Sarfati elle-même : "Ce que j'ai ressenti moi à cet âge, que j'allais avoir une nouvelle vie, que mon corps se transfolise sarfati, lise, sarfati, magnum, magnum gallery, gallery, galerie, paris, exposition, rétrospective, la vie nouvelle, the new life, biographie, parcours, interview, rencontre, analyse, critiquermait, que j'allais commencer à vivre, comme une espèce de projection de moi-même." Un devenir fragile, incertain. Ces photographies sont le récit sensible et douloureux de ce passage : de la jeune fille à la femme, du jeune garçon à l'homme. Passage propre à chacun et vécu par chacun, selon un mode commun. Le thème de l'adolescence est ici porté par une narration plus globale, qui traverse tout le travail de l'artiste. Et la Vie Nouvelle se conçoit comme "l'une des pièces du puzzle", selon le mot de la photographe, afin "de retracer plus ou moins la vie d'une femme à travers toutes ces séries".
 
Le travail photographique de Lise Sarfati, qui rejoint l'Agence Magnum en 1997, est notamment reconnu aujourd'hui grâce à une autre série majeure, fruit d'un séjour d'une dizaine d'années en Russie où elle a vécu après avoir mené des études de russe à La Sorbonne. Son ouvrage Lise Sarfati : Acta Est propose un portrait personnel de la Russie des années 1990 : des photographies de maisons en bois à la campagne, de constructions issues de l'ère soviétique, ou encore de terrains vagues. Autant de lieux détruits ou dégradés qui caractérisent la période de transition qu'a connu la Russie post-soviétique. Juxtaposée à ces lieux, une autre série lui fait écho : des portraits de jeunes homosexuels. En parallèle à la dégradation des lieux de vie, un processus d'individualisation a émergé à partir des années 1995-2000, après la chute de l'Union soviétique.

Pour La Vie nouvelle, la photographe va jusqu'aux Etats-Unis, où elle réside - quelque part entre Berkeley, Austin, Portland, Oakland, la Nouvelle-Orléans et Los Angeles - pour se perdre dans l'immensité du territoire, reflet d'un espace conceptuel où chacun semble être assigné. Rose, Olga, Robyn et les autres sont photographiés chez eux - dans une chambre, un salon, une cuisine. L'enjeu de ces portraits est alors de révéler l'intimité d'un espace clos. Quand ces personnages sont photographiés en extérieur - dans un jardin, un magasin, une rue - ils évoluent comme s'ils tentaient de tisser des liens avec cet espace. Et, dans cette tentative, il y a comme un décalage entre le personnage et son environnement. Une ambivalence au coeur de ce temps arrêté où chaque adolescent tente de se projeter vers un devenir possible. Un flottement, juste avant que l'adolescent ne se projette ailleurs, dans un nouveau corps qui, sous les désirs, se fait jour.

Ainsi, Sloane (#34 Oakland, CA 2003) se tient droite, le bras relevé, une cigarette à la main. Figée comme une baby doll, au teint de porcelaine, vêtue de noir, ses cheveux méchés de blond contrastant avec sa tenue. Cette dissonance est renforcée par le lieu où elle se tient : au second plan, un buffet contenant assiettes et médicaments, une porte close. Les murs sont gris. À sa droite, un candélabre aux bougies presque consumées. Elle se sent regardée, elle est devenue sujet : Sloane pose. Plus loin, il y a Lauren (#57. Georgetown, TX). De profil, le visage caché par quelques cheveux. Elle est assise sur le bord du trottoir, les épaules tombantes. Extérieur nuit : en arrière plan, d'un côté, ce qui semble être un parc à jeux pour enfants. Fermé. De l'autre côté, un parking. lise sarfati, lise, sarfati, magnum, magnum gallery, gallery, galerie, paris, exposition, rétrospective, la vie nouvelle, the new life, biographie, parcours, interview, rencontre, analyse, critiqueVide. Lauren est éclairée par la lumière de la rue, un néon dresse au loin un fil d'horizon. La nostalgie affleure. Quelle pensée traverse son esprit ? Faut-il voir dans ce lieu l'enfance symbolisée par le parc à jeux, tandis que le parking serait la métaphore d'un "no future" ?
 
Bien qu'indéniablement documentaire, le travail de Lise Sarfati se définit par une envie de fixer un récit, celui de ses modèles. Dans ces portraits, peu ou pas d'action. Un geste suspendu, un corps alangui, un arrêt du temps. Comme s'il s'agissait de capter cet effleurement, ce changement subtil. Un détail de la scène - vêtement, objet ... autant d'indices qui aident à décrypter cet univers, révélant alors quelque chose de précis et en même temps l'infini de chaque personnage. "Car, en apparaissant, disparaissant et réapparaissant, ils cherchent autant à se perdre, à se tromper, à se faire autres qu'à (se) rappeler leurs propres existences, jamais certaines ni définitives", comme l'écrit Olga Medvedkova, dans la préface de l'ouvrage publié en 2005. La Vie nouvelle est le fruit des relations qu'a entretenues la photographe avec ces adolescents. La confiance se perçoit dans le consentement du photographié à devenir sujet. Et il ne s'est pas agi, pour Lise Sarfati, de mettre en scène des adolescents : elle porte en elle leurs questionnements. Elle les explore, cherchant à faire entendre un écho. Bien que la présence de la photographe ait un impact sur ces adolescents, elle a créé un espace nécessaire afin qu'à leur tour ils agissent, par leur présence, sur son travail de création.

La composition de ses portraits, son sens instinctif des couleurs, des textures et des contrastes créent un espace physique et psychologique où affleure l'insaisissable. Ainsi, la plupart des instantanés joue l'alternance entre une teinte d'un froid bleuté et celle, plus dense, d'un rouge-orangée. Un bleu, qui "à mesure qu'il s'éclaircit perd de sa sonorité jusqu'à n'être plus qu'un repos silencieux", en contraste au rouge qui est "tel qu'on se l'imagine, couleur sans limites, essentiellement chaude, qui agit intérieurement comme une couleur débordante d’une vie ardente et agitée", pour reprendre les mots de Kandinsky (Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, 1911). Celles-ci sont  une traduction de l'expérience perceptive de chaque modèle, comme une transfiguration de leurs états intérieurs. L'éclairage, diffus, laisse alors le regard libre, guidé par la composition et le jeu des couleurs. Les textures sont parfois rugueuses - le regard s'accroche sur le détail de ce canapé nervuré ou de ce sol jonché de feuilles - mais elles sont le plus souvent lisses. Comme glacées ou vernis. Une profusion d'objets dans le cadre ou parfois l'adolescent, seul. C'est bien dans la simplicité des images autant que dans leurs complexités que se lit l'intemporalité propice aux hésitations de l'adolescence.
 
Safia Belmenouar
Le 06/04/11
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Lise Sarfati, La Vie Nouvelle /The New Life
, jusqu'au 30 avril 2011
Magnum Gallery
13 rue de l’Abbaye
75006 Paris
Tlj (sf lun)  11h - 19h
 
Publication : La Vie nouvelle/The New Life, Twin Palms publisher (2005)






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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil & photo 2 : Lise Sarfati, Lauren#57 Georgetown, TX 2003, Copyright : Lise Sarfati Courtesy Magnum Gallery.
Photo 1 Lise Sarfati, Sloane#34 Oakland, CA 2003. Copyright : Lise Sarfati Courtesy Magnum Gallery.
Photo 3 Lise Sarfati, La Vie nouvelle, Twin Palms publisher (2005)