L`Intermède
Le banquet social
Ce n'est pas un hasard si l'exposition
moveable fest, fest, new york, green cart, green, carts, photo, photographie, street photography, latoya ruby frazier, will steacy, thomas holton, gabriella stabile, shen wei, programme, obésitéphotographique Moveable Feast : Fresh Produce and the NYC Green Cart Program a pris place à la lisière d'un des plus grands parcs citadins du monde. Le programme Green Cart, qu'elle dévoile sous tous les angles, a provoqué un raz-de-marée de fruits et légumes dans New York. Au rez-de-chaussée du Musée de la ville, face à Central Parc, la succession de prises de vue des rues regorge des couleurs des habitants de la Big Apple et témoigne de l'ampleur d'un des plus grands projets jamais conçus pour lutter contre l'obésité et pour la diversité alimentaire. Pour mieux raconter, en creux, la détresse sociale.

Le programme Green Cart est une vraie petite révolution urbaine et commerciale. L'idée : placer un millier de chariots mobiles alignant fruits et légumes issus de l'agriculture biologique postés sur les avenues new-yorkaises. Le résultat : un millier d'emplois créés pour des immigrés, et un millier de mini-marchés ad hoc, dans ce que le conseil municipal a décrit comme des "food deserts", ces quartiers où les fast-foods ont remplacé les supermarchés, et où les habitants doivent prendre les transports pour pouvoir acheter des fruits et légumes frais. Avec ses 20 millions d'habitants, New York est réputée pour être la ville des extrêmes et de la disparité sociale et économique. Si elle compte la plus grande place boursière au monde, certains quartiers ne connaissent que trop bien la litanie infernale de la déscolarisation, de la criminalité, du chômage, de l'addiction, mais aussi de l'obésité et du diabète. A l'origine de ces maux, il y a certes la méconnaissance des problématiques diététiques, mais aussi le manque d'alternatives : lorsqu'un kilo de fraises coûte aussi cher qu'un menu chez Mc Donald's, le choix est vite fait sur un budget serré. Financée par le conseil municipal et quelques fondations américaines, l'initiative Green Cart a donc dû fournir une réponse rapide à ces disparités alimentaires.

Avec ou sans aubergine
Mais le programme s'est vite cogné à la réalité. Debout derrière son chariot fraîchement inauguré, Ismail lance un regard serein, teinté de fierté, à l'objectif de Latoya Ruby Frazier, qui le surprend à négocier avec un client. Ses pommes soigneusement empilées semblent avoir été polies une par une et réverbèrent les rayons de soleil. D'un côté le parasol vert arborant l'inscription officielle "NYC Green Cart" et de l'autre la balance. Pourtant, lorsqu'Ismail est arrivé pour sa première journée de travail, le vendeur de hot dogs du quartier, qui ne pouvait pas accepter un tel affront, s'est empressé de lui faire une scène. Bien plus violente a été l'attaque subie par Islam MDA il y a un an, lorsqu'un gang l'a passé à tabac pour dévaliser son étalage. Installé sous le métro 4 du Bronx, dans un quartier anciennement surnommé "Death Valley", Islam bénéficie désormais d'une protection rapmoveable fest, fest, new york, green cart, green, carts, photo, photographie, street photography, latoya ruby frazier, will steacy, thomas holton, gabriella stabile, shen wei, programme, obésitéprochée offerte par les habitants du quartier, qui se relaient pour surveiller le Green Cart. C'est avec aplomb qu'il pose désormais devant son stand. Entre clichés pris à la sauvette et observation patiente, le travail de Frazier s'inspire de la street photography pour faire émerger un portrait de l'environnement urbain dans lequel s'implantent les Green Carts. Timides, amusés, confiants, sérieux, nonchalants, les protagonistes, clients comme vendeurs, acceptent de se laisser prendre avec ou sans aubergine, banane, pomme ou patate douce.

La question de l'intégration des Green Carts, corps a priori étrangers, dans un paysage urbain défavorisé est également au coeur du projet photographique "A Product of Our Environment" mené par Will Steacy. Là encore, il s'agit de documenter avec minutie et impartialité. Un enchaînement d'images à première vue anodines : un pneu crevé noir dans lequel traînent une cannette de coca cola rouge et un bidon en plastique vide blanc ; des stores baissés devant lesquels sont disposés des bacs à fruits et légumes vides ; une cuisse de poulet amochée et quelques frites éparpillées par terre ; un grafitti aux couleurs usées qui montre un cadis croulant sous les packs de bières ; le menu d'un "Deli", ces fameux fast-foods américains proposant hamburgers, döners et pizzas... Dans le quartier que Steacy a arpenté avec son appareil, 41% de la population vit sous le seuil de pauvreté, plus d'un quart des adultes souffre de sur-poids, et un habitant sur trois ne dispose pas d'assurance-maladie. Steacy pose toujours la même question, à travers ce kaléidoscope de peinture craquelée, d'immondices, de rues vides et de fast-foods abondants : un Green Cart a-t-il réellement une chance de survie ?

Une botte de radis
Une question qui préoccupe peu Thomas Holton. L'Américain a, lui, suivi deux vendeurs bangladeshis dans leur premier emploi aux Etats-Unis, pour livrer un témoignage en forme de roman-photo. Mohammed et Hussain ont accepté qu'Holton les accompagne pendant plusieurs mois, lors de leurs services sur le stand, lors de leurs repas spartiates ou encore dans l'appartement qu'ils partagent avec cinq autres compatriotes dans le Bronx. Loin de leurs familles, ils tentent de goûter au "rêve américain". Et sous l'objectif de Thomas Holton, le Green Cart ne devient qu'un prétexte pour explorer la vie de deux immigrés parmi les 20 millions  d'habitants que compte la cité américaine. Holton a voulu voir pour faire voir, pour rendre visible ces ombres du trottoir, coincées entre l'horodateur et la bouche de métro, entre les passants pressés et les immeubles statiques, entre  les jupes légères et les sac de courses bien remplis. Une fois recouverte d'un flou d'ajustement, toute cette vie alentour disparaît derrière la noirceur perçante des yeux de Mohammed qui fixe, avec insistance, chaque regard qui veut bien se poser sur lui.

A l'image d'Holton, l'Italienne Gabrielle moveable fest, fest, new york, green cart, green, carts, photo, photographie, street photography, latoya ruby frazier, will steacy, thomas holton, gabriella stabile, shen wei, programme, obésitéStabile aime circuler entre anthropologie et voyeurisme. Car elle aussi s'invite chez ses sujets, s'immisce dans leur quotidien. L'alternance de plans resserrés sur une botte de radis aux éclats pourpres ou sur l'étiquetage trilingue des bananes d'un jaune vif d'un côté, et des arrêts sur image d'enfants sautillant ou d'adultes discutant de l'autre, crée une trame narrative qui s'arrête tantôt chez la vendeuse d'origine mexicaine Patricia, tantôt chez Gertrude, la mère qui prépare à manger avec ses emplettes du Green Cart. La suspension d'un geste énergique, un cadrage décentré, une couleur surexposée sont autant de détails par lesquels Stabile révèle moins le quotidien de ses sujets que son attachement à leur égard.

Six framboises
Sur fond de Green Cart, c'est la variation des assaisonnements humains, des liens sociaux savamment cuisinés autour de la question de l'alimentation, qui captivent Holton, Stabile, Steacy et  Frazier. A rebours, loin des drames personnels et sociaux, les instantanés de l'artiste chinois Shen Wei oublient le monde extérieur pour n'exister qu'en eux-mêmes. Un mur blanc qui se prolonge dans la nappe posée sur la table, un kaki scindé en deux. La première moitié est entière, plénitude orange. L'autre doit s'adosser à la première pour ne pas s'effondrer sur son intérieur vidé. Pénombre. Une étendue noire, un carton sur lequel se lisent vaguement des prix griffonnés rapidement. Une banane à moitié libérée de son pelage jaune verdissant. A nouveau un mur. Un carton renversé sur son flanc droit, troué de manière régulière dans son fond. Et puis, six framboises. Alignées, ces pois rose sombre semblent animés d'un désir de se rabattre vers le carton. Pudiquement.
 
Asmara Klein, à New York
Le 11/07/11
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Moveable Feast : Fresh Produce and the NYC Green Cart Program
, jusqu'au 22 août 2011
Museum of the City of New York
1220th Fifth Avenue at 103rd Street
New York, NY 10029
Tlj 10h-18h
Dim. 10h-17h
Tarif plein  : $10
Tarif réduit : $6
Gratuit -12ans






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