L`Intermède
Le parti pris des choses
"L'idée était d'absorber le visiteur et le faire entrer dans un rêve, comme dans une salle de cinéma", confie Michel Draguet, directeur du musée Magritte à Bruxelles. Depuis juin 2009, quelque 2500 mètres carré au sein des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique accueillent la plus vaste collection au monde d'oeuvres de René Magritte (1898-1967). Le scénographe, Winston Spriet, a voulu recréer l'atmosphère onirique et théâtrale qui anime les toiles du peintre surréaliste. Magritte ne se comprend pas : il se ressent. Aussi l'immersion doit-elle être totale : photographies d'époque, objets étranges et inclassables, documents d'archives - tracts, correspondance, manifestes, partitions - et huit films diffusés se rené magritte, magritte, musée magritte, magritte museum, bruxelles, belgique, peinture, toile, exposition, rétrospective, biographie, parcours, portrait, oeuvre, oeuvres, maison, interview, entretienconjuguent aux dizaines de toiles du maître. Le décor discret contraste avec la créativité et l'étrangeté des tableaux pour faire apparaître Magritte sous un jour nouveau, plus intime : un poète subversif aux aspirations anarchistes. 
 
Même dans sa période constructiviste, influencée par le cubisme et l'abstraction, la figuration n'est jamais totalement absente : René Magritte a été, jusqu'à la fin de sa vie, le peintre des objets. Un goût qui lui vient peut-être du domaine de la publicité, dans lequel il fait ses armes dès 1918, pour subvenir à ses besoins tout en continuant à peindre. Et il poursuit cette activité alimentaire  - ces "travaux imbéciles", comme il dit - pendant toute sa carrière, réalisant sa dernière affiche (L'oiseau de ciel pour la compagnie aérienne belge Sabena) un an avant sa mort. Entre temps, il conçoit également des illustrations pour partitions, notamment à la demande de son frère, compositeur de chansons de variétés... Car René Magritte est avant tout un expérimentateur. Les nouvelles théories qu'il croise - cubisme, abstraction, futurisme -, si elles l'intéressent pendant un temps, ne lui suffisent pas : "Toutes ces expériences à la longue ne me donnaient pas satisfaction, sans doute parce que le plaisir de peindre n'importe comment et n'importe quoi devait me paraître sans intérêt." Ce n'est qu'en 1923, lorsqu'il découvre pour la première fois Le Chant d'Amour (1914) de Giorgio de Chirico (1888-1978), qu'il comprend qu'il ne s'agit pas de savoir comment peindre mais plutôt quoi peindre. A la dimension esthétique se substitue l'idée. Le peintre italien, en assemblant des objets hétéroclites, met au jour une réalité bouleversante pour Magritte : la collision inattendue entre deux objets du réel permet de passer du visible à l'invisible et dévoile le mystère du monde. Le peintre belge y voit "l'ascendant de la poésie sur la peinture" et considère Chirico comme "le premier peintre qui ait pensé à faire parler la peinture d'autre chose que de peinture". Comme lui, il veut introduire dans le monde des apparences un mystère poétique, en transformant l'objet familier en forme énigmatique. L'art devient un moyen de connaissance de l'homme et du monde, et Magritte ne se conçoit plus tant peintre que poète, utilisant son pinceau comme une plume.

Reprenant à son compte la définition de la beauté par Lautréamont dans Les chants de Maldoror - "Beau comme la rencontre fortuite d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection" -, Magritte s'inscrit pleinement dans le mouvement surréaliste, faisant émerger des images d'un assemblage dû au hasard de deux réalités plus ou moins éloignées. Au sein de paysages obscurs et énigmatiques - lourds drapés rouges ou gris, espaces souvent clos -, il fait surgir des objets banals. Témoin, Le Mariage de Minuit (1925) : malgré un rendu réaliste, c'est par l'association d'éléments disparates - un corps noir, du bois, une fenêtre, un coin de cheminée, tout cela prenant une plage pour décor - que le peintre belge veut provoquer poésie et mystère. Comme l'explique Michel Draguet, "Magritte n'est pas intéressé par le processus de création de l'image. Ce n'est pas un Dubuffet qui joue avec la matière, ce n'est pas un Jackson Pollock qui balafre la toile d'un geste. L'image l'intéresse très peu en tant que rené magritte, magritte, musée magritte, magritte museum, bruxelles, belgique, peinture, toile, exposition, rétrospective, biographie, parcours, portrait, oeuvre, oeuvres, maison, interview, entretienprocessus mais bien en tant que résultat. Pour lui, une image, c'est une image poétique." Magritte cherche à surprendre le spectateur, préférant lui faire se poser des questions que lui donner des réponses. Ce qui explique le décalage systématique entre le tableau et le titre qui lui est affublé : ils sont souvent proposés a posteriori par ses amis, et le peintre choisit généralement le plus énigmatique.
 
En 1926, Magritte créé le groupe surréaliste belge, entouré de Camille Goemans, Paul Nougé et E. L. T. Mesens. S'ils reprennent nombre des principes de leurs confrères parisiens, les surréalistes belges considèrent que l'image est l'aboutissement d'une démarche longuement mûrie, quand un André Breton y voit d'abord le fruit du hasard ou de l'inconscient. Découverte (1927) illustre ce travail de recherche : Magritte y applique le principe de métamorphose en mêlant deux visions qui n'ont aucun lien entre elles - un corps féminin et du bois - afin d'en faire émerger une troisième - une panthère. En 1927, accompagné de Georgette, sa femme et muse, l'artiste belge s'installe à Paris dans l'espoir de se rapprocher de Breton, sans succès : le couple n'y reste que trois ans, jusqu'à ce qu'une dispute avec le "pape du surréalisme" précipite leur départ. Durant cette période, la question du rapport entre l'objet, l'image et le mot est au centre de la réflexion de Magritte. Il introduit des mots dans ses tableaux, comme le font déjà Francis Picabia ou Joan Miró. Mais il ne les utilise pas pour renforcer l'image ni pour en prolonger le sens : les mots sont là pour introduire le doute, interroger le lien arbitraire entre signifiant et signifié, forme et fond. La Trahison des images, conservé au Los Angeles County Museum, joue justement sur cette ambiguïté entre image et vocable avec sa célèbre légende : "Ceci n'est pas une pipe". 

Une forme de subversion que l'on retrouve dans le parcours politique du peintre. Car sous ses dehors bourgeois, Magritte est profondément révolutionnaire. Attiré dès les années 1930 par le communisme, il commence par co-signer des tracts, puis dessine des affiches pour la Centrale des Ouvriers textiles de Belgique - que l'on qualifie bientôt de "sur-réaliste socialiste" - et va jusqu'à représenter le reflet de Léon Degrelle, écrivain et homme politique belge, sous les traits de Hitler. Surveillé par les nazis, il reste discret durant la Seconde Guerre mondiale où il se lance dans la version impressionniste de sa peinture, appelée "le surréalisme en plein soleil". Changement de style : il abandonne la peinture sombre et élargit sa palette avec des couleurs vives. "Il ne faut pas craindre la lumière du soleil sous prétexte qu'elle n'a presque toujours servi qu'à éclairer un monde misérable." Il allège son trait en s'inspirant de la touche aérienne des impressionnistes et renouvelle ses thèmes de prédilection : femmes nues, paysages fleuris, bouquets et sirènes envahissent les tableaux. Il recherche "le plaisir qui supprime toute une série de préoccupations qu'[il] veut ignorer de plus en plus". Bon nombre de ses amis sont loin d'être enthousiastes. André Breton lui-même rené magritte, magritte, musée magritte, magritte museum, bruxelles, belgique, peinture, toile, exposition, rétrospective, biographie, parcours, portrait, oeuvre, oeuvres, maison, interview, entretienne comprend pas ce revirement et rend publique sa condamnation en ne l'invitant pas à participer à l'Exposition Internationale du Surréalisme de 1947. Pourtant, le peintre poursuit dans la voie surréaliste : Le Sourire, réalisé en 1943, fait apparaître, au milieu d'un champ en fleurs, une pierre tombale portant l'inscription : "AN 192370".

Excommunié, Magritte doit renoncer à exposer dans les grandes galeries parisiennes, et trouve refuge à la galerie Faubourg. En l'espace de cinq semaines, entre mars et avril 1948, il peint dix-sept toiles et une dizaine de gouaches dans un style tout à fait nouveau et particulièrement exubérant. Aidé par Louis Scutenaire, il décide de "frapper un grand coup" et de scandaliser le public. Il s'inspire de la culture populaire (caricatures, bandes dessinées...) et travaille en particulier sur la déformation du corps humain, optant pour des couleurs criardes, une touche nerveuse, et des sujets ironiques voire vulgaires. Cette période "vache", comme il la qualifie, parodie le mouvement fauve apparu au début du siècle à Paris. La toile la plus importante par son format mais aussi la plus extravagante de la série est sans doute Titania, qui représente des corps se mêlant et se confondant avec des visages caricaturaux multicolores. Une audace qui lui vaut d'amènes critiques, en particulier de la part du groupe surréaliste mais aussi d’acheteurs potentiels. Cédant à la pression, il écoute son nouveau marchand, Alexandre Iolas, qui le convainc de revenir à un style plus académique. De "faire du Magritte", en somme.

Et la suite lui donne malheureusement raison : trois ans plus tard, la notoriété de René Magritte est internationale. Pendant les quinze années suivantes, le peintre connaît une consécration sans faille, reproduisant  inlassablement ses sujets de prédilection : ciel, grelots, draperie... On pense notamment au célèbre Empire des lumières, représentant la façade d’une maison au milieu des arbres, éclairée par un réverbère, associée à un ciel diurne animé de quelques nuages blancs, dont il existe seize versions à l’huile et sept gouaches. Car Magritte n'innove presque plus, mais fait des répliques de tableaux connus et digérés, en particulier à destination du marché américain. C'est avec lassitude qu'il accepte de se soumettre à la duplication de ses oeuvres, transformant la peinture en une véritable industrie. Mais il ne reproduit pas à l'identique : il change les proportions, modifie les couleurs, transforme l'arrière-plan… Autant d'altérations qui rappellent les recherches qu'il menait dans les années 1930 pour comprendre la relation cruciale entre les objets. Car cela n'exclut pas un certain plaisir à approfondir sa propre démarche, jusqu'à se pencher sur un nouveau procédé de production en série, la kamagraphie, fondée par le chimiste Henri Cocard. Avec cette technique, l'original est détruit pour engendrer 250 toiles identiques. L'oeuvre est sacrifiée, pour être mieux diffusée : ou comment tracer une ligne droite du surréalisme... au Pop Art.
 
Christel Brun-Franc, à Bruxelles
Le 09/04/11
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Musée Magritte
1 place Royale
1000 Bruxelles
Belgique
Tlj (sf lun) 10h-17h
Nocturne mer (20h)
Tarif plein : 8 €
Tarif réduit : 5 € / 2 €
Gratuit pour les -18 ans
Rens. : +32 2 508 32 11





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