Roberto Burle Marx,
plasticien du végétal
En présentant le travail de l'architecte paysagiste Roberto Burle Marx, la Cité de l'Architecture et du Patrimoine, à Paris, entame un cycle d'événements autour du thème "Ville et nature", interrogeant la ville contemporaine dans ses tensions et ses contradictions.
Vivant acharné, Roberto Brule Marx (1904-1994) a consommé les arts comme les plaisirs. Il aimait à explorer et à découvrir, amoureux de la séduction plus que de la prise, recherchant l'éveil du coup de foudre dans les fleurs, les bâtiments, les hommes et les rues. Pionnier de la pensée moderne de l'urbanisme, il s'est engagé pour maintenir la nature dans les villes, dans une double conscience écologique et humaniste. Il a choisi ses amis comme ses fleurs, réuni les esprits comme les concepts, coloré l'atmosphère de ses chants, ceux que lui a appris sa mère, comme ses couleurs vives habillent ses structures. Le paysagiste a valorisé les identités végétales locales qu'il a sculptées, et privilégié une vision esthétique globale de l'espace urbain plutôt qu'une pensée parcellaire des lieux. Il refusait la ligne droite, préférant "
la ligne courbe et sensuelle", selon le mot d'Oscar Niemeyer.
L'esthétique du vivant au cœur du bâti
"
C'est en peintre qu'il aborda la question du jardin", écrit Mario Pedrosa dans le
Jornal do Brasil du 9 janvier 1958. Le paysagiste Roberto Burle Marx (1909-1994), dès ses débuts, dessine le paysage comme il peint, et modèle la nature comme il sculpte les mots et les pierres : "
J'ai appliqué à la nature même les fondements de la composition plastique, en accord avec les perceptions esthétiques de mon époque". Il copie dans ses dessins les formes rondes des végétaux et retrouve la vitalité des fleurs très colorées du Brésil dans les aplats
de couleur qu'il produit sur ses plans. La place Salgado qu'il dessine pour Rio de Janeiro s'habille de formes rondes et géométriques, superpose les couleurs et les formes, unie le végétal au bâtiment, dans un effort de rationalisation des formes du jardin. Le paysagiste célèbre la spontanéité de la nature par la géométrie végétale. Mieux, il insuffle la vie dans des espaces urbains qui oublient souvent le végétal et l'humain derrière le béton. C'est l'imprévisible, l'inattendu qu'il fait émerger du bâti.
Comment conjuguer l'expansion urbaine et la croissance avec la préservation de l'environnement et le développement durable ? François de Mazières, président de la Cité de l'architecture et du patrimoinen répond en citant la nouvelle approche de l'urbanisme contemporain, qui s'oppose au modèle traditionaliste des Trente Glorieuses : "
L'architecte, selon le paysagiste Gilles Clément, est celui qui a les clés du pouvoir sur l'espace." Paysagistes, architectes, urbanistes pensent le bâti par le milieu naturel, et non plus la nature comme espace circonscrit et coincé entre les habitations, les quartiers d'activité, les voies de circulation. L'architecture moderne se veut oeuvre d'art totale, qui accepte et même fait émerger les contradictions entre la structure et l'apparence, les espaces extérieurs et intérieurs, les immeubles et les parcs, les arts et la nature. Mais la perspective est toujours la même : ne pas concevoir la nature à l'intérieur de l'urbain, comme contenue dans des frontières étroites imposées par les constructions, mais la faire apparaître dans les espaces où elle n'était pas attendue ou espérée. Elle peut dès lors camoufler les bâtiments, se placer au coeur des centres d'activités financières, ou encore recouvrir les routes et les voies d'accès à la ville.
La sensualité du corps urbain
L'amour de la vie inspire toutes les œuvres de Roberto Burle Marx. Foncièrement jouisseur, l'amant des plaisirs en tout genres aime avant tout la conquête, celle des femmes comme des fleurs, des notes comme des mets. C'est la sensualité de la flore brésilienne qu'il découvre par hasard lors d'une visite aux serres de Dahlem à Berlin qui inspire l'artiste. Il étudie alors la botanique, les fleurs brésiliennes mais aussi les espèces locales de la nature qu'il explore. Il pense les êtres et les plantes dans leur milieu, dans leur climat. Pas question d'importer des espèces et de les cultiver de force. Roberto Burle Marx vise, tout au contraire, à amener les styles et les matériaux dans le milieu naturel qu'il ménage dans la ville, en procédant selon sa formule à un "
arrangement de matériaux naturels selon les lois esthétiques". Dans le jardin de l'un des patios
de l'Unesco qu'il a réalisé, le bâtiment se coule dans la nature, les plantes envahissent le bitume. Aucune agression dans ces formes rondes, presque cellulaires et végétales, aucune violence faite au minéral et au végétal. Le paysage de Burle Marx intègre et pénètre le milieu construit, les plantes se dressent, se coulent, glissent, pénètrent l'air et l'eau. Elles s'offrent et s'ouvrent au regard comme les fleurs ou les palmiers.
Roberto Burle Marx, ancien étudiant des Beaux Arts, est un artiste du vivant qui conjugue nature et bâtiment, vie humaine et esthétique moderne. Véritable touche-à-tout, il s'amuse aussi à concevoir des décors de Carnaval pour le théâtre municipal de Rio de Janeiro. Mais il n'oublie jamais l'homme derrière le décor, et cache dans ses collages une référence à la dictature militaire qui meurtrit le Brésil depuis 1964. Pour lui, la collectivité "
a besoin d'espaces libres, d'espace verts". S'opposant à la "
muraille des égoïstes" de Copa Cabana que dénonçait déjà Le Corbusier. Il n'impose pas la forme à la nature, et ne contraint pas l'homme, son corps et son esprit dans un milieu végétal fermé. Il pense d'ailleurs qu'il manque au Brésil une véritable Ecole de jardinage qui formerait, au sein d'une Institution, les nouveaux paysagistes de demain. Le jardin est pour lui "
comme l'adéquation du milieu écologique aux exigences naturelles de la civilisation".
Dans sa résidence de Canavellas dans les collines de Pétropolis, à 70 kilomètres de Rio, il ménage une transition entre le bâtiment et la forêt vierge. Roberto Burle Marx efface les frontières, crée ex-nihilo ou fait pénétrer le jardin dans le construit. Collaborant avec des personnalités aussi diverses que l'architecte Oscar Niemeyer ou Le Corbusier, se joignant à la naissance de Brasilia et à la conception de jardins privatifs, Roberto Burle Marx marie les contraires dans un nouveau langage esthétique. Ses réalisations végétales évoluent au gré du point de vue que l'on pose sur elles. Vu du ciel, ses jardins apparaissent comme des tableaux végétaux, ou des aplats de couleur. Il juxtapose et harmonise les espaces et les espèces, recrée un éco-système écologique où cohabitent l'homme, les plantes, les pierres et les astres.