L`Intermède
stanley kubrick, kubrick, violence, analyse, critique, interview, citation, orange mécanique, humain, exposition, cinémathèque, expo, affiche, affiches, dessin, dessins, bim studio, bim, cinémaStanley Kubrick,
les yeux grand ouverts

Stanley Kubrick (1928-1999) aime les ouvertures écrasantes. Que ce soit le long travelling arrière sur fond de Rossini dans Orange Mécanique (1971), le Berlioz au synthé de Shining (1980) ou le majestueux Ainsi parla Zarathoustra de 2001, l'Odyssée de l'espace (1968) le colosse abat sans attendre sur le spectateur son bras puissant. Dans le premier de ces films, le héros Alex est lui-même placé de force devant des séquences solennelles où paradent des uniformes noirs au rythme des symphonies de Beethoven. La protestation d'Alex pourrait être la nôtre, car il semble bien que le réalisateur y donne une caricature grimaçante de son oeuvre. Précis, touchant souvent à la perfection, son cinéma est le lieu d'un affrontement permanent entre le rectiligne et la liberté, entre l'institution et l'instinct.

Peplum, science-fiction, drame, film de guerre, d'horreur ou d'époque : en cinquante ans et treize longs métrages, Stanley Kubrick a goûté à quasiment tous les genres cinématographiques. Mais l'éclatement apparent ne saurait cacher le projet politique, voire anthropologique, qui trace le fil de son oeuvre : celui de la mise en évidence d'une domination sur l'individu, qu'elle soit d'ordre stanley kubrick, kubrick, violence, analyse, critique, interview, citation, orange mécanique, humain, exposition, cinémathèque, expo, affiche, affiches, dessin, dessins, bim studio, bim, cinémacosmique, politique, social ou culturel. Dès son premier film, Fear and desire (1953), où la guerre est le lieu symbolique de la condition humaine, Kubrick fait de l'affrontement la dynamique de ses films.  Les Sentiers de la Gloire (1958) et Full Metal Jacket (1987), ainsi que certains passages significatifs de Dr Folamour (1963) et Barry Lyndon (1975), ne dérogent pas à la règle. Et l'affrontement final de Full Metal Jacket consacre, une seconde fois après le suicide du soldat "Baleine", l'échec de la discipline militaire que tente d'inculquer l'armée américaine à ses conscrits. Seule, les cheveux détachées, la sniper vietnamienne met en déroute une brigade entière. C'est la femme libre contre le mâle civilisé - à grand peine. A la fin, pas de doute, c'est elle qui a gagné.

Semblable échec commandait déjà Orange mécanique, en 1971 : c'est sans aucun doute le film où l'opposition de la violence débridée de l'individu face à celle systématique de la société est le plus clairement mise en scène. Kubrick n'épargne rien de la cruauté du protagoniste Alex, accompagné de ses droogs. Brutalité, viols, meurtre... le dérèglement individuel est sans limite. La première partie du film, jusqu'à ce qu'il tombe entre les mains de la justice, est une litanie baroque de crimes pervers. Au cynisme du jeune homme joué par Malcolm McDowell répond le stanley kubrick, kubrick, violence, analyse, critique, interview, citation, orange mécanique, humain, exposition, cinémathèque, expo, affiche, affiches, dessin, dessins, bim studio, bim, cinémalyrisme de Beethoven, qui illustre avec un contraste tout ironique les méfaits de la bande. La violence ne semble obéir à aucune logique, ne rentrer dans aucun projet social. Sans but, sans cohérence. Simplement frapper, s'ennuyer dans les halls d'immeuble. A la violence aléatoire de l'individu répond la répression planifiée, organisée de l'institution. Même dans le cas d'Alex, l'oppression sociale, qu'elle se présente sous les traits de la rigueur en prison ou de la douceur avec le programme Ludovico, dépasse en cruauté et en violence les individus. Pour Kubrick, et c'est là la portée révolutionnaire du long métrage, le système Ludovico, malgré son caractère indolore, constitue sans aucun doute une violence plus détestable encore que la brutalité franche et directe de l'univers carcéral. Ironiquement, le jeune désaxé devient l'agneau sacrificiel livré à la brutalité de la société. D'autant que Malcolm McDowell sait rendre au besoin son visage angélique.

La fureur est partout dans Orange mécanique. Elle est même, et peut-être originellement, dans les couleurs bariolées qui agressent le système nerveux. Perruques violettes, robes oranges, le mauvais goût éclate l'écran. Si le futur réalisateur de Barry Lyndon commet des images aussi méchamment laides, c'est pour signifier que l'époque et la société ont modelé la bête à son image. stanley kubrick, kubrick, violence, analyse, critique, interview, citation, orange mécanique, humain, exposition, cinémathèque, expo, affiche, affiches, dessin, dessins, bim studio, bim, cinémastanley kubrick, kubrick, violence, analyse, critique, interview, citation, orange mécanique, humain, exposition, cinémathèque, expo, affiche, affiches, dessin, dessins, bim studio, bim, cinémaAlex le dépravé est le fruit d'une société pourrie. Ce transfert de la violence aux institutions sociales fait l'objet d'un traitement tantôt comique (Dr Folamour), tantôt tragique (Les Sentiers de la Gloire).   "Messieurs, vous ne pouvez vous battre ici, nous sommes dans la salle de guerre !", s'exclame le Président interprété par Peter Sellers. Dans Les Sentiers de la Gloire, c'est la scène révoltante où le général inflexible discute tranquillement, devant une table garnie, de l'attitude "honorable" des soldats innocents qu'il a condamnés à mort pour l'exemple. Il y a ceux qui exercent leur violence de façon instinctive, par un besoin quasi animal, et ceux qui l'organisent, qui acceptent de se faire les instruments de l'oppression collective. De la même façon, la langue subit la torture de son époque, aussi bien dans le nadsat d'Alex - en réalité une invention d'Anthony Burgess qui intègre des mots russes à son langage - que les vociférations du sergent recruteur Hartman dans Full Metal Jacket. Inversement, dans 2001 ou Eyes Wide Shut, la banalité des échanges constitue une violence plus insidieuse mais tout aussi déshumanisante, comme la tentative de séduction d'un vieux beau à l'égard de Nicole Kidman au début d'Eyes Wide Shut. Le langage est utilisé pour soumettre l'autre à ses désirs sexuels.

Une déshumanisation qui conduit la violence à ne pas être que sociale ou culturelle, mais également technologique, voire cosmique. Dans 2001, l'humain est écrasé par les forces inconnues qui régissent la vie de l'univers. La brève visio-conférence entre le scientifique et sa fille n'est que stérotype, noyée dans le décor glacé de la station. Comme dans l'Angleterre d'Orange mécanique, les humains sont pris à leur propre piège. Leur technologie les a enfermés dans un univers clos plastifié. Dépersonnalisation qui atteint son summum dans le vaisseau longiforme qui transporte un équipage de scientifiques vers la planète Jupiter : aucun acteur n'est plus insignifiant que les deux chercheurs qui occupent successivement le devant de l'écran, Gary Lockwood et Keir Dullea. Le seul véritable comédien est l'ordinateur HAL, dont l'oeil cyclopéen ne quitte pas les deux astronautes, les empêchant de communiquer entre eux. L'impossibilité de la conversation privée renforce la sensation d'étouffement, soulignée, toujours selon le même principe, par le vide infini de l'espace. Omniprésent et omnipotent, donc, l'ordinateur prend le contrôle de la station et des humains qu'elle abrite. Non seulement est-il le seul à connaître le but de la mission, mais contrairement aux humains, sa présence captive à l'écran. HAL est le véritable personnage, celui qui suscite la compassion lors de son agonie dans stanley kubrick, kubrick, violence, analyse, critique, interview, citation, orange mécanique, humain, exposition, cinémathèque, expo, affiche, affiches, dessin, dessins, bim studio, bim, cinémaun renversement définitif entre l'homme et la machine.

Le réalisateur de Dr. Folamour s'est toujours défendu de faire un cinéma à thèse. On sait l'insistance avec laquelle il refuse toute idéologie quelle qu'elle soit, posture illustrée par la dernière partie d'Orange mécanique qui renvoie dos à dos les courants politiques, conservateurs comme progressistes, de la même façon que Dr. Folamour souligne dans les deux blocs ennemis une égale boufonnerie criminelle. Et pas de lutte des classes non plus : il est clair que le cinéma de Kubrick n'est pas structuré par l'opposition des groupes sociaux. Nulle question d'une quelconque revendication sociale collective, c'est le rapport de l'homme à son destin individuel qui intéresse le cinéaste. Dès ses premiers films, les individus se battent en vain contre leur destin. Déjà, le seul rescapé du braquage de l'Ultime razzia (1956, joué par Stirling Hayden) connaissait une fin aussi absurde que cruelle au moment même où il pouvait enfin espérer avoir trouver l'issue :  la valise de billets, objet du sacrifice de ses compagnons, se disperse sur la piste de l'aéroport, dans l'indifférence de tous. Quant à Redmond Barry, son destin social ne lui laisse pas une autre fin que la dégradation et le retour au stade originel, sans son titre et sans sa jambe. Tous, donc, rencontrent la fatalité. Et seul l'astronaute Dave Bowman, parce qu'il accepte de suivre jusqu'au bout le mystère de son existence, retrouve l'innocence du nouveau-né, seul, flottant parmi les astres, les yeux grand ouverts sur le monde en devenir.
 
Augustin Fontanier
Illustrations : BIM Studio
Le 02/06/11
A voir :
Stanley Kubrick
, jusqu'au 31 juillet 2011

Cinémathèque française
51 rue de Bercy 75012 Paris
Tlj (sf mar) : 12h-19h ; Dim : 10h-20h
Tarif plein : 5 € / Tarif réduit : 4 €
Rens. : 01 71 19 33 33


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Crédits images : L'Intermède // BIM Studio