La tentation du sublime
L'exposition décline ainsi l'histoire de ces chanteuses, de Gabrielle Krauss (1842-1906), présente dès l'inauguration de la salle, à Germaine Lubin (1890-1979), l'une des dernières grandes stars de la troupe. Parmi cette galerie de personnages se décèlent diverses sensibilités : Lucienne Bréval (1869-1935), incarnation de la tragédie à l'opéra de Paris, de Rameau à Wagner, séduit par sa féminité en Salomé, en Ariane, en Pénéloppe. Félia Litvinne (1860-1936), qui passe à la postérité comme la chanteuse wagnérienne-type, trouble par des postures imposantes dans les rôles d'Isolde ou de Brünnhilde. À voir ces nobles présences, emplies d'effusion, on comprend que certaines de ces cantatrices aient pu devenir de véritables sources d'inspiration tant pour les sculpteurs, les peintres et les photographes que pour les compositeurs qu'elles ont servis : de Sybil Sanderson (1864-1903), Massenet dit en effet qu'elle a été sa muse pour le rôle-titre de Thaïs et il ne veut plus qu'elle dans le rôle d'Esclaramonde. Certaines n'ont pas seulement régné sur le monde de la musique mais aussi sur celui du cinéma - Géraldine Farrar (1882-1967) tourne une dizaine de films à Hollywood -, de la mode - Lina Cavalieri (1874-1944), que l'on dit alors la "plus belle femme du monde", ouvre un institut de beauté - et même de la cuisine - on doit le nom du dessert glacé à la pêche à la capricieuse Nellie Melba (1861-1931).
Du reste, cette esthétique flamboyante ne sera pas toujours à l'honneur dans la création lyrique. Et derrière cette galerie de femmes, c'est bien l'histoire et les évolutions d'un genre qui est ici racontée, rappelant notamment que le profil exotique et chargé des grands rôles du XIXe siècle laisse place aux innovations de la modernité. Dès le début du siècle suivant, l'opéra explore une veine moins portée sur le spectaculaire, qui redécouvre l'antiquité et ses lignes épurées. Les poses sculpturales des cantatrices privilégient alors le jeu sur les drapés et leurs torsions, le costume se composant de voiles superposés comme ont pu en porter à la même époque Loïe Füller et Isadora Duncan. C'est ainsi vêtue d'une robe en voilage, serrée sous la poitrine par une ceinture, que Mary Garden incarne la déesse grecque de la beauté, Aphrodite, dans l'opéra éponyme. On retrouve cette même simplicité antique dans le Pélléas et Mélisandre de Debussy, opéra d'inspiration symboliste dont le livret est écrit par Maeterlinck. 
