AUSTRA, JEUNE GROUPE ELECTRO canadien, est mené de main de maître par la chanteuse, compositrice et parolière Katie Stelmanis. Après un premier album déjà très remarqué, Feel It Break, le groupe revient avec Olympia. Si les sonorités sont plus dance, les textes restent sombres. Après une brève carrière solo, Stelmanis sait désormais s'entourer : de ses trois membres initiaux - Maya Postepski à la batterie et aux percussions, Doran Wolf à la basse -, Austra est passé aujourd'hui à six : Ryan Wonsiak pour le clavier, Sari et Romi Ligthman pour les choeurs complètent le tableau. Véritable ouvrage collectif, Olympia a vu pour la première fois la chanteuse ne livrer aux autres membres que des amorces de chansons, comme des cadavres exquis qu'ils devaient poursuivre. Rencontre. – Par Aurélie Villers
"AVEC OLYMPIA, nous avons découvert le rythme, et redécouvert le texte", résume simplement la chanteuse. Nombre de morceaux d'Olympia sont construits sur un rythme lancinant comme "What we done", qui ouvre l’album, ou "Hurt me Now", qui le clôt, sur une douleur sourde et des palpitations musicales faites de variations de sentiments ressassés. Katie Stelmanis explique avoir beaucoup travaillé les textes avec l’une de ses choristes, Sari Lightman, la "littéraire" du groupe. L’aboutissement de ce travail, qui ne s’est pas fait dans la facilité, résonne avec beaucoup de mélancolie : "Il y a une thématique qui revient fréquemment dans l’album : le fait de se remémorer le passé et de prendre conscience du fait que, maintenant que nous approchons la trentaine, il nous faut commencer à affronter les réalités de la vie. C’est un moment assez triste où l’on de rend compte qu’il va falloir devenir de vraies personnes. Peut-être ne devrais-je pas dire un "moment triste", mais un temps différent."
DE FAIT, LE SUCCÈS DU PREMIER ALBUM du groupe a joué un grand rôle dans leur travail :"La transition qu’il y a entre vivre à la maison et devenir soudain un musicien constamment en tournée est très grande. Beaucoup de choses ont changé dans ma vie. J’ai un peu pété les plombs parce que je suis une maniaque de l’organisation. A un certain point, c’était devenu impossible de tout gérer seule : le groupe, les tournées… " C’est presque avec soulagement que Katie Stelmanis a accueilli les nouveaux membres du groupe. Et s’il est difficile de distinguer la patte de chacun – preuve que l’album n’a pas perdu en cohésion – les chansons offrent une très large gamme, des formats classiques à l’étrange "I don’t care (I’m a man)" qui dure une petite minute et trente secondes.
MÊME SI LA MUSIQUE ET LES RYTHMES d'Olympia sont déstabilisants pour qui était familier des précédents singles "Lose It", "Beat and the Pulse" et "Spellworks", la voix singulièrement envoûtante de Katie Stelmanis replonge bien vite l'oreille en terrain connu. "Parfois, on partait d’idées, parfois de chansons un peu plus élaborées. Mais généralement, je présentais au groupe de choses assez nues et ils remplissaient 99% de la chanson pour moi." Le point de départ peut être une mélodie, une phrase ou un rythme. Si Stelmanis a du mal à composer pour d'autres chanteurs ou groupes, c'est que le texte lui est aussi nécessaire qu’un instrument. "Souvent, quand j’écris une chanson, la mélodie est basée sur une phrase clé qui naît presque par accident. Je crois que ça se passe de façon plutôt inconsciente, étrangement. Quand je bute trop sur les paroles, je les laisse couler. Pour "Home", j’ai écrit les deux premiers vers ("You notice that it hurts me when / You don’t come home at night"), puis Sari a rempli le reste."
– Récits
OLYMPIA EST UN ALBUM beaucoup plus narratif que le précédent. Chaque morceau trace un bout de vie, une petite histoire, douloureuse à sa façon, dans laquelle la chanteuse semble se livrer de façon moins évasive : la jeunesse révolue ("What we done"), l’attente ("Home"), les amours et amitiés déçues ("Annie (Oh muse you)", "We become"...), la difficulté à être gay dans une petite ville ("Painful Like"). Et chaque tentative de composition musicale enjouée ou exotique ("Forgive Me", "Painful Like", les étonnants mais non détonants rythmes brésiliens de "We Become") se retrouve contrecarrée par un texte désenchanté. Même si Katie Stelmanis voit les choses différemment : "J’avais l’intention de faire un album plus léger, mais je crois que j’ai tendance à tout rendre trop dramatique ou très mélodramatique, et là, je voulais tenter de me restreindre et de retenir les choses, donc j’espère que ça se ressent un peu dans les chansons."
LE GENRE MUSICAL auquel Austra appartient semble difficile à étiqueter. L’album emprunte à divers styles, mais garde une base qui rappelle résolument les années 1980, tout en allant à l’encontre de la tendance. "Je pense qu’il y a globalement un "revival" de la musique des 80's et du synthé parce que la guitare a prédominé si longtemps qu’on tend à vouloir s’en détacher. Beaucoup de groupes s’éloignent d’une musique à la guitare en ce moment. Feel It Break a été entièrement composé sur MIDI et je trouve que cet album a une qualité très "glacée" sans que je sache pourquoi. Puis j’ai réalisé que c’était parce que les sons que j’utilisais n’étaient pas naturels. Ce n’était pas des sons produits de façon organique. Alors pour cet album, nous voulions nous assurer que le moindre son serait réellement joué. Maya s’est occupée de toutes les parties rythmiques. Comme nous voulions perfectionner le son, au lieu de superposer une trentaine de couches, nous n’avons pris qu’un seul instrument au son très bon." Album décidément paradoxal, Olympia offre de l’électro "organique", et poursuit ainsi idéalement le trouble et le jeu doux-amer d’une mélancolie portée par des rythmes entraînants et des envolées vocales saisissantes.
OLYMPIA EST UN VOYAGE, comme l’annonce la pochette. Un trip exotique au décor artificiel, tape-à-l’oeil, pittoresque, et aussi foncièrement mélancolique que le sont, par contraste, les yeux baissés d’une chanteuse comme étrangement retirée d’un autre univers et posée là, arbitrairement, sur un fond avec lequel elle ne peut a priori pas se fondre. Le grand écart est réel : de formation classique (musique classique et chant lyrique dans un chœur d’opéra) Stelmanis n’aspire à présent qu’à faire danser les gens sur une musique qui ne cède néanmoins jamais à la facilité. C’est donc cela, Olympia. Une réinvention, une célébration, un nouveau départ, une nouvelle vie, qui ne sera pas nécessairement sans difficultés, une promesse de découverte. Plus qu’un titre, l’album porte un véritable nom qui lui vient du bébé du couple qui tenait le studio d’enregistrement : "Lors de la première session, la propriétaire était enceinte de 9 mois. Nous sommes partis pour un mois, puis nous sommes revenus pour enregistrer la fin. Nous avons été le premier groupe à venir après la naissance du bébé. Ils l’avaient appelé Olympia. Nous avons pris cela comme la commémoration d’une nouvelle vie, d’un nouvel album."
– La scène
A LA VARIÉTÉ DE L'ALBUM s’ajouteront les variations et adaptations de la scène, car Katie Stelmanis n’aime ni se répéter ni stagner. La longue tournée Olympia qui a débuté au mois de juin sera pour elle l’occasion de trouver comment adapter ses chansons aux conditions de la scène (musicalement surtout, car la possibilité de jouer tous les instruments sera restreinte), et de "mettre à jour" les chansons de Feel It Break que le groupe reprendra également, qu'il a déjà eu l'occasion d'éprouver sur scène avec leur tournée en Europe et aux États-Unis ou en faisant les premières parties de The XX et The Gossip. De quoi palper l'enthousiasme réel du public pour le travail du groupe.
AUSTRA A TRÈS SOUVENT DIT faire une musique plutôt "européenne". Leur succès a en tout cas été plus notable et précoce sur le vieux continent. "J’aimerais que ce ne soit pas nécessairement le cas d’Olympia. J’adore tourner en Europe. C’est vraiment l’endroit où je préfère jouer, sans l’ombre d’un doute. Mais avec cet album, on espère atteindre un plus large public. Pourtant, l’Europe, et l’Allemagne en particulier, a vraiment été le premier endroit à comprendre notre musique. C’est un peu le cas au Canada, mais la scène musicale canadienne se met généralement à apprécier quelque chose quand ils voient que d’autres l’ont déjà fait. Quand on a commencé à avoir du succès un peu partout, le Canada s’est soudain dit : "C’est génial, c’est vraiment quelque chose !" alors que ça faisait déjà 5 ans qu’on jouait…" Nouvelle destination pour la tournée cette année : l'Asie. Suivie, probablement, d'une longue période de silence et d'oisiveté pour recommencer à créer : "Je me suis rendu compte que pour être créatif, il fallait vraiment prendre le temps de s’ennuyer."