STEVEN WILSON, leader du groupe Porcupine tree, s'offre un retour remarqué avec un nouvel album solo, Hand. Cannot. Erase, et une tournée avec une date française à l'Olympia le 25 mars. De passage à Paris, la star du rock progressif contemporain a partagé avec L'Intermède son regard sur ce dernier opus et, de manière plus générale, sur son travail en tant que musicien, compositeur et producteur. Approchant sa musique comme une oeuvre totale, il y entrecroise les mots, les images et les sons, pour dresser la fresque tragique d'une vie solitaire. (Vous pouvez retrouver l'intégralité de l'interview à la fin de cet article) –
PERSONNAGE TRÈS INFLUENT dans la sphère des musiques progressives, Steven Wilson reste pourtant discret. S'inspirant de son expérience personnelle et de l'admiration qu'il porte à des artistes qui demeurent énigmatiques – il cite notamment Kate Bush – il ne communique que sur son oeuvre. "Je pense, explique-t-il, qu'une partie de la magie d'être fan d'un artiste réside dans le fait qu'il y ait ce sens du mystère. Je ne veux pas trop en savoir sur eux." Sa méfiance envers les réseaux sociaux, qu'il juge être une sorte de mirage, une sociabilité "anti-sociale", résonne particulièrement avec les thèmes de ce dernier album qui s'intéresse à la solitude de l'individu dans le monde contemporain. Hand. Cannot. Erase se veut un concept album qui n'évoque pas seulement cette thématique mais qui construit une histoire autour d'un personnage fictionnel.
– Sons
LA MUSIQUE AVANT TOUT. On le sait bien, c'est ce qui a toujours guidé ce passionné, des compositions de jeunesse bricolées tout seul dans sa chambre à la consécration actuelle. Mais l'on n'entendra pas Hand. Cannot. Erase sur les grandes radios, on ne verra pas Steven Wilson à la télévision : lui-même ne sait pas vraiment comment qualifier sa notoriété qui reste confinée à un certain milieu musical, hors de la sphère de l'industrie mainstream. De toute façon, pour celui qui milite pour le format de l'album, l'essentiel reste l'oeuvre. Sa musique, qui puise à la fois dans la complexité de la tradition du progressif et dans l'efficacité sensible de la pop pourrait pourtant, à n'en pas douter, convaincre un public plus large. Mais les circuits médiatiques sont souvent trop étanches. "J'ai grandi avec deux influences en termes de musique : du rock extraordinairement ambiteux, conceptuel et complexe, et dans le même temps, de la grande musique pop : Abba, les Bee Gees... Et, quelque part, il est plus difficile de faire de la grande musique pop. J'aime toujours cette musique et j'essaie de mêler les deux. Si on peut créer un équilibre, quelque chose d'accessible et en même temps qui ait un autre niveau de complexité en termes de production, c'est quelque chose de vraiment unique". "Perfect life", premier single issu de l'album, s'inscrit tout à fait dans cette veine, ouvrant sur une voix récitative et narrative qui laisse venir délicatement un refrain lancinant, s'installant dès lors avec l'efficacité d'un hymne mélancolique.
S'IL NE SE CONSIDÈRE PAS avant tout comme un guitariste, c'est plutôt comme compositeur et producteur que l'on pourrait le définir. Dans sa quête perpétuelle de sons, il se qualifie lui-même de "control freak". Mais sa collaboration actuelle avec des musiciens du plus haut niveau lui réserve des surprises qu'il n'hésite pas à intégrer à son travail pour l'enrichir. Sans idée préconçue sur la direction dans laquelle il doit aller, il explore sans cesse de nouvelles possibilités. Cette fois, c'est par exemple la voix d'un jeune garçon, enfant de choeur, qui vient s'inviter sur l'album. Une voix inattendue dans le domaine du rock : "Je n'analyse pas ce que je fais. J'expérimente simplement jusqu'à ce que cela sonne bien. Je n'ai jamais été formé comme ingénieur, producteur ou même musicien. Je ne suis pas particulièrement bon musicien mais je pense que le plus important, c'est d'entendre la musique dans sa tête. Une fois que vous pouvez entendre le son que vous cherchez dans votre esprit, c'est plus facile. Cela vient de l'écoute : j'écoute avec beaucoup de curiosité, plein de choses différentes, et il y a beaucoup à apprendre. J'ai écouté, écouté, écouté, chaque jour, et je le fais encore et c'est comme cela que j'ai appris."
ON SENT PARTOUT CETTE CURIOSITÉ, cette soif de sons et de musique. Si l'on reconnaît la signature de l'artiste à son utilisation particulière du piano ou de la guitare acoustique, au style de la guitare électrique, à son attention aux mélodies, à la manière dont se détache le son de chaque instrument comme dans un écrin, il n'est jamais possible de déterminer de quoi sera fait le morceau suivant. Dès lors, l'inspiration vient tout autant de ses influences musicales, du travail qu'il a pu réaliser en remixant des albums classiques de rock progressif – une tradition qui se fait sentir dès le premier morceau de l'album, "First regret" - , que de ce qu'il a lu, vu ou vécu.
– Mots
LA MUSIQUE DE STEVEN WILSON est minutieuse, habitée et jamais abstraite parce qu'elle raconte des histoires, ce que souligne l'attention portée aux paroles et aux mélodies. "Il y a de nombreux points communs entre créer un album concept et écrire un roman ou faire un film : un sens de l'histoire, un voyage à travers différentes émotions." Son album précédent, The Raven that refused to sing (and other stories), relevait du conte fantastique. Hand. Cannot. Erase, s'il ne perd pas en onirisme, décrit plutôt le monde contemporain. Le musicien anglais ne se perçoit pas comme un artiste engagé ; et pourtant, son oeuvre est ancrée dans la réalité d'un monde souvent terrifiant et aliénant qu'il se veut dénoncer.
CETTE FOIS, IL S'APPUIE sur un fait divers : le corps d'une femme, morte depuis deux ans, retrouvé dans son appartement. "Je supposais, quand j'ai entendu parler de cette histoire, que quelqu'un qui était retrouvée morte dans son appartement après deux ans devait être une vieille dame solitaire. Mais Joyce Vincent avait 38 ans. Elle avait des amis, un petit-ami, une famille, et, pour une raison quelconque, elle n'a manqué à personne pendant deux ans. C'est quelque chose d'inouï. Je crois que cela en dit long sur la manière dont nous vivons au XXIe siècle." Si l'album ne parle pas directement de Joyce Vincent, il suit le point de vue d'un personnage fictif : une jeune femme isolée. Les ambiances électroniques, urbaines voire industrielles construisent le décor de plusieurs morceaux sur lequel émergent la voix de Steven Wilson et d'autres, à l'instar d'une chanteuse ou de l'enfant de choeur.
– Images
CETTE DIMENSION NARRATIVE se développe aussi à travers l'univers visuel qui entoure l'album. La tournée comptera ainsi un important travail multimédia destiné, notamment, à permettre au spectateur de comprendre plus précisément le concept qui lui est présenté. "J'ai toujours vu la musique non seulement en termes musicaux mais aussi en images. Et bien souvent, quand j'écris, l'inspiration vient non pas de la musique mais du cinéma ou de la littérature, dans une sorte d'émulation croisée entre les images, les mots et les sons." On se souvient des photographies et vidéos qui accompagnent les albums de Porcupine Tree (le groupe fondé par Steven Wilson, voir notre article) et l'attention portée aux clips qui interagissent avec la musique pour créer un véritable univers. Pour "The Raven that refused to sing", le travail sur l'animation avait donné lieu à des contes visuels qui accompagnaient les chansons.
ON S'ÉTONNE ALORS que personne n'ait jamais proposé à Steven Wilson de composer la bande originale d'un film. Un souhait qu'il souhaiterait réaliser, de son propre aveu : "Si je réfléchis aux rêves que j'avais lorsque j'étais adolescent, je me rends compte que je les ai probablement tous réalisés. La seule chose que je n'ai pas encore faite et qui est en haut de ma liste, c'est de pouvoir travailler avec un réalisateur et faire une bande originale." Les projets ne manquent jamais pour ce musicien qui cherche constamment à se renouveler et à relever de nouveaux défis. Mais ce nouvel album marque certainement uné étape essentielle dans son parcours, l'aboutissement temporaire d'une quête artistique qui, par des sons, des mots et des images, chuchote à l'oreille de l'auditeur une mélancolie troublante, une angoisse sourde, mais aussi un élan lyrique parfois lumineux.