Le goût des autres
et Arnaud le tombeur inculte. Ainsi que le cousin Dimitri et l'agent immobilier-petit copain Stéphane, complètement accro à l'insupportable jeune femme. Ou encore Kader, Léa, Basile, Faustine, Mathieu, Véronique et quelques autres.
Le travail fourni est en effet redoutable : les mises à jour sont quotidiennes, elles représentent environ quatre à cinq pages de bande dessinée et demandent parfois aux dessinateurs plusieurs jours de labeur. Ce n'est pourtant pas la première fois qu'un site ou un blog propose de la bande dessinée et en fait le support d'une rémunération : des webcomics anglo-saxons comme Girl Genius ou The Order of the Stick publient très régulièrement de nouvelles pages. L'accès en est gratuit parce qu'ils sont financés par la vente de produits dérivés, et éventuellement d'albums papier. En France, les blogs constituent parfois une première étape avant la publication des pages dans un album - comme c'est le cas pour Boulet ou Maliki - ou sont rémunérés par la publicité, à l'instar du blog de Martin Vidberg. Mais aucun de ces modèles n'est sans faille : rien ne garantit à un auteur que les revenus de la vente de produits dérivés ou ceux de la publicité seront suffisants ; rien ne lui garantit non plus qu'il trouvera un éditeur pour son blog. Pensé sur le long terme et mobilisant toute une équipe, Les Autres Gens a donc obligé son créateur à imaginer une autre piste. C'est le micro-paiement qui a finalement été retenu, avec ce qu'il peut avoir comme limites - et notamment le nombre de lecteurs, nécessairement plus réduit, mais qui atteint tout de même les 1100 abonné-e-s.
l'occasion "d'explorer le spectre des personnalités, des relations sociales, familiales et de couple". Au fil des mois, le scénariste a la possibilité de placer les (anti-)héros dans de multiples situations, d'examiner leurs différentes facettes et de jouer de la relation à trois - auteur, personnage, lecteur - qui se crée. "J'adore amener le lecteur à détester un personnage qu'il a adoré six mois plus tôt", avoue-t-il. "Car c'est tout l'enjeu du procédé de la série : révéler notre humanité, le fait que l'on change en permanence."
Car à chaque jour son dessinateur : les crayons de Vincent Sorel, les trames de Margot Scesa, les couleurs d'Erwann Surcouf, le réalisme de Bandini ou les résumés humoristiques de Marion Montaigne. Ils sont aujourd'hui quatre-vingt à prêter leurs crayons, pinceaux, pastels et fusains aux Autres gens. Un nombre qui confère désormais au site les allures d'un laboratoire d'exploration des styles. "Il n'y avait là rien de prévu et aucune volonté de faire oeuvre de prosélytisme bédéïque, explique Thomas Cadène. C'était une nécessité si on voulait pouvoir produire cinq épisodes par semaine". Pour assurer le rythme journalier, un vivier suffisamment important de dessinateurs s'impose donc, surtout que les auteurs se retirent parfois quelques temps en raison d'autres projets en cours. "Au début, le lectorat était craintif face à ces changements de style. Mais maintenant, les remarques sont très positives : soit les gens s'en moquent, soit ils aiment". Cette particularité fait désormais partie intégrante de l'histoire, et les dessinateurs jouissent d'une grande liberté dans leur approche : les cadrages et les angles de vue ne leurs sont pas imposés. "Thomas nous indique les choses auxquels il tient : certains habits ou certaines expressions. Mais il ne nous donne pas de croquis et nous laisse imaginer la scène", raconte Aseyn, un des premiers participants. Et d'une fois sur l'autre, un dessinateur peut proposer un style et une technique différente. "Mes dessins pour Les Autres Gens traduisent mon humeur et mon travail du moment, poursuit-il. C'est pour moi une sorte de laboratoire." La seule contrainte qui pèse réellement sur les dessinateurs est que les personnages soient facilement reconnaissables. Pour chacun, certains détails précis doivent être respectés : la forme du nez ou une frange assurent que le lecteur s'y retrouve et puisse savourer son plaisir sans entraves.
pensé pour que la lecture à l'écran soit aussi agréable que possible ; la taille des cases permet même aux propriétaires de huit ou dix pouces de voir les cases dans leur totalité. La sortie de l'édition papier n'était d'ailleurs pas pensée comme une nécessité ou un aboutissement : "Que la version papier paraisse est une bonne chose, mais nous ne l'avons pas cherché. Ce n'était pas l'objectif. Le projet principal est et reste conçu pour internet", souligne Thomas Cadène. Même si, ajoute-t-il, "je suis content de la sortie du livre parce que certaines personnes ont renoncé à la lecture à cause de l'écran. Le livre reste important pour beaucoup de gens. Il va donc attirer de nouveaux lecteurs." La sortie des différents albums - un pour chaque mois du site internet - va se poursuivre dans les mois qui viennent. Pour les plus impatients, il est possible d'accéder aux archives du site ou de prendre l'histoire en cours grâce aux résumés mensuels. Et de découvrir ainsi la prochaine piste envisagée : après l'exploration d'un modèle économique, de personnages et du dessin, c'est vers une diversification des scénaristes que pense se tourner Les Autres Gens. 
