L`Intermède
ce qu`aimer veut dire, ce qu`aimer, veut dire, aimer, amour, mathieu lindon, jérôme lindon, michel foucault, lindon, foucault, guibert, hervé guibert, roman, texte, analyse, critique, biographieLa possibilité d'être
Le dernier texte paru aux éditions P.O.L de Mathieu Lindon, Ce qu'aimer veut dire, traite de l'amour. Vaste sujet s'il en est. Si vaste qu'il pourrait passer pour prétentieux d'en vouloir faire le tour en en proposant, comme le laisse penser le titre, une définition. Ici s'entremêlent l'amour des livres, de la littérature qui permet de vivre reclus du monde, l'amour du Père, celui qu'on a et ceux qu'on se choisit, mais aussi des hommes et des amis, ceux qui forment ce que Lindon nomme "les amis biologiques". L'auteur y évoque ceux qui ont fait et qui font sa vie : les noms de Jérôme Lindon, d'Hervé Guibert, de Michel Foucault, de Samuel Beckett et de Rachid O sont les plus récurrents. Et c'est toute une réflexion, celle d'un homme mûr, resté jeune, au sujet du métier d'écrire, de celui de publier et celui, plus ardu encore, de vivre, qui se déploie au regard de l'histoire littéraire de la fin du XXe siècle.

 
Ce qu'aimer veut dire s'ouvre sur une anecdote qui sera comme une métonymie de tout le texte. L'auteur évoque Willa Cather, romancière américaine de la première moitié du XXe siècle - elle obtient le Prix Pulitzer en 1923 -, considérée comme l'une des plus grandes figures de la littérature américaine par ses pairs. Lindon dit toute son émotion lorsqu'il découvre, dans un texte non fictionnel, la rencontre de Cather avec une octogénaire française dans un Grand Hôtel du Sud de la France. La mystérieuse et élégante pensionnaire dit avoir bien connu Tourguéniev. Premier choc pour l'auteure américaine. Mais quelle n'est pas sa surprise quand elle apprend - comprend, plutôt - que la femme en face d'elle n'est autre que la nièce de Gustave Flaubert, Caroline. Cather, comme Lindon, a lu l'oeuvre romanesque de Flaubert et n'a pas oublié les Lettres à Caro, correspondance entre l'auteur de Madame Bovary et sa nièce. La vieille dame ne le dit d'ailleurs que du bout des lèvres, comme pour ne pas gêner, ne pas mettre mal à l'aise son interlocutrice. Toute l'histoire de la littérature du XIXe siècle surgit ainsi au détour "d'une rencontre de fortune", comme le nomme Cather. Lindon s'installe à la suite de cette rencontre en écrivant : "J'ai les larmes aux yeux en lisant cette rencontre flaubertienne, une émotion exagérée. C'est comme si je me reconnaissais à la fois en Willa Cather et en Caroline, comme si je m'identifiais à leur rencontre."

Il ne s'agit pas simplement d'une anecdote ou, comme on pourrait le croire, d'une fascination pour l'entre-soi ou pour la gloire littéraire. Au contraire. Il est plutôt question de l'intimité avec la littérature, avec les grands auteurs. Comment vivre à côté d'eux, être récipiendaire de leur pensée, de leur doute, mais aussi tout simplement de leur quotidien. De même lorsqu'il cite Céleste Albaret, la gouvernante de Proust : pour dire toute la gratitude à Michel Foucault, qui, estime-t-il, l'a élevé, Lindon évoque cette femme toute simple : "Celeste Albaret dit que l'auteur de La recherche du Temps perdu l'a aidé longtemps après sa mort." Au fil des pages, c'est l'intimité d'hommes et de femmes qui ont construit le XXe siècle que Mathieu Lindon partage. Un chapelet de prénoms qui court tout au long des pages, anonymes dans un premier temps mais qui sont à accoler à des patronymes bien célèbres, de "Sam" Beckett à Catherine Robbe-Grillet ou Gilles Deleuze. Et, surtout, Michel Foucault.

Figure célèbre des années 1980, dont l'oeuvre nourrit encore aujourd'hui des débats passionnés, Foucault a atteint ces dernières années, entre autre grâce à l'université américaine, une stature quasi iconique (lui, l'iconoclaste). Cette image de l'intellectuel fait souvent oublier l'homme qu'il était. Il est vrai qu'un autre ami de Mathieu Lindon, l'écrivain et photographe Hervé Guibert, avait déjà brossé un portrait du philosophe : c'était A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, oeuvre qui a projeté Guibert sur le devant de la scène littéraire bien qu'il avait écrit déjà plusieurs romans, récits et pièces de théâtre. On y lit un Foucault ami patient, généreux de ce qu`aimer veut dire, ce qu`aimer, veut dire, aimer, amour, mathieu lindon, jérôme lindon, michel foucault, lindon, foucault, guibert, hervé guibert, roman, texte, analyse, critique, biographieson temps et de sa personne mais aussi amateur de sadomasochisme, de rencontres sexuelles sans lendemain. C'est essentiellement le premier aspect que Lindon continue de développer dans Ce qu'aimer veut dire : un Michel Foucault amateur de LSD, de Gustav Mahler et des films de Marx Brothers. Foucault ne sera pas comme un second père pour Mathieu Lindon ("Michel, je ne l’aimais aucunement comme un père mais une figure tutélaire, généreuse de son savoir et de ses expériences.")

Son père, c'est l'autre grande figure du livre : Jérôme Lindon, fondateur des Editions de Minuit, éditeur de Robert Pinget, Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet et, bien sûr, Samuel Beckett. Bien sûr, car l'amitié entre l'éditeur et l'auteur d'En attendant Godot est le pendant de l'amitié Foucault-Lindon fils. Ces deux grands hommes ont une amitié si forte que Jérôme Lindon, à la mort de Beckett, dit à son fils qu'il doit comprendre sa tristesse, lui qui a perdu un homme aussi important dans sa vie que l'était Foucault. Malgré des affrontements, des désaccords, le père et le fils s'aiment et se respectent. Mais Lindon, homme respectable et respecté, est discret dans l'expression de ses émotions. Il vit aussi dans la peur du qu'en dira-t-on. Ce qui lui fait publier le premier roman de son fils, pourtant plein de promesses, sous le pseudonyme de Pierre-Sébastien Heudaux, choisi par Michel Foucault lui même. Publié par son père, baptisé par un homme qu’il vénère, Lindon fait son entrée dans la littérature.

Il ne s'agit pas, pour l'auteur, de comparer les deux hommes, si ce n'est autour de leurs points de vue sur la littérature ou la politique. Mais les pensées se bousculent dans la tête de Lindon, comme se télescopent les souvenirs dans les pages qu'il écrit. Il y a quelque chose de Bach dans l'écriture, comme un basso ostinato, une ligne de force qui va, vient et se développe dans l'entrechoquement de ces deux figures. Lindon réconcilie les deux hommes, qu'il a mis dos à dos dans sa jeunesse ("J'aimais que mon père fût mon père, j'aimais que Michel ne le fût pas.") Jérôme Lindon apparaît au fil des pages comme un homme discret, taiseux et d'une grande acuité. Le texte lui rend un hommage en tant qu'éditeur, comme l'avait fait, à sa manière, Jean Echenoz, dans son texte humblement titré Jérôme Lindon. Mais il s'agit aussi d'un hommage à l'image du père, un homme qui, avare de démonstrations affectives envers ses enfants, a pourtant la délicatesse de lui écrire, au moment de mourir : "Quand tu (me) liras, j'aurai disparu à mon tour, mais toi, tu auras encore beaucoup d'années à vivre. Aussi, la gratitude que n'ai pas cru devoir manifester à mon père, je crois tout à fait opportun de te l'offrir à toi. J'espère seulement que j'aurai le sentiment, le moment venu, de ne t'avoir pas causé de tort grave, ce qui me donnera le droit de te demander, en t'embrassant, de m'oublier."

Ce qu'aimer veut dire évoque aussi à longueur de pages la drogue, le sexe, les doutes inhérents à la création, le temps qui passe et les lieux de mémoire. Des familles que l'on se construit et de celles que l'on prend une vie à ne pas détruire. Mais l'ouvrage de Lindon évoque surtout une époque : les années 1970 et 1980. Sous le signe des stupéfiants (LSD, opium, héroïne), des nuits d'amour sans lendemain avec des partenaires des deux sexes - bien que les garçons finissent par "l'emporter". Mais aussi sur l'ombre planante, dès le début des années 1980, de l'épidémie de SIDA. Pour ceux qui l'ont vécue, cette époque est un souvenir d'amis, d'amants, de frères et de fils que l'on enterrait semaine après semaine.  Une autre anecdote vient, alors, éclairer le ce qu`aimer veut dire, ce qu`aimer, veut dire, aimer, amour, mathieu lindon, jérôme lindon, michel foucault, lindon, foucault, guibert, hervé guibert, roman, texte, analyse, critique, biographiepersonnage Lindon. Après moult hésitations, il finit par faire un test de dépistage du VIH. Il s'avère séronégatif - le seul, dit-il, de tous ceux qu'il connait - et décide d'appeler ses parents pour le leur dire. Même s'ils ne peuvent qu'être soulagés, ils ne disent rien. "L'homosexualité a changé les règles", cette intimité-là, même joyeuse, ne se partage pas, ne se dit pas. Au delà de la relation à ses parents, l'annonce de la séronégativité résonne comme une immense solitude : celle de ceux qui restent et qui continuent à enterrer celles et ceux qu'ils aiment.

Le récit de Mathieu Lindon est un roman d'apprentissage au sens où le XIXe siècle l'entendait. Plus proche du Frédéric Moreau de l'Education Sentimentale que du Rastignac des Illusions Perdues, l'auteur, qui est le narrateur de ses propres aventures, découvre la force de l'amitié, du désir et de la pensée. Dans ces pages, il se découvre lui-même, apprend à grand coups de tristesse ce "qu'aimer veut dire". Tout comme le Moreau de Flaubert : il souffre mais il est conscient d'apprendre, et que cet apprentissage ne peut se faire que dans la douleur. Chaque page dit toute l'admiration pour un père et pour un ami, pour ces deux êtres qui ont construit l'homme, mais aussi l'auteur, qu'est Mathieu Lindon ("Je suis reconnaissant dans le vague à Michel, je ne sais pas exactement de quoi, d'une vie meilleure.")

Sa jeunesse dure six ans. Les six années passées aux côtés de Michel Foucault, dont une dans l'appartement du philosophe, rue de Vaugirard. Ce lieu mythique qui prend vie à travers le récit des séances de drague, les moments de confidence, les parties de mikado ou les séances de cinéma sous acide. Un lieu qui meurt avec son propriétaire : Lindon raconte son dernier passage avec Daniel Defert, compagnon de Foucault et fondateur de l'association de lutte contre le VIH qui permet dès 1984, au début de l'épidémie, de réunir toutes les personnes touchées par le fléau. Defert et Lindon sont dans l'appartement de la rue de Vaugirard et un bruit ne cesse de se faire entendre. Defert explique alors que c'est le nouvel ascenseur. Lindon comprend que ce bruit aurait empêché les longues écoutes de musique organisées par "Michel". Le philosophe mort, l'appartement n'a plus de raison d'être. Le temps qui passe est l'allié de la souffrance provoquée par le deuil. Il est aussi, pour reprendre les mots de Paul Claudel, "la chance donnée à tout ce qui sera, d'être, afin de n'être plus".
 
Thomas Cepitelli
Le 04/04/11
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Ce qu'aimer veut dire

Mathieu Lindon
POL éditeur, Paris
2011
319 pages
18,5 €

A voir : Hervé Guibert à la Maison Européenne de la Photographie, jusqu'au 10 avril 2011. Informations : site de la MeP









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Vignette sur la page d'accueil : Hervé Guibert, Sienne, 1979 © Christine Guibert / Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris
Photo 1 Mathieu Lindon
Photo 2 Hervé Guibert, La bibliothèque, 1987 © Christine Guibert / Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris
Photo 3 Michel Foucault
Photo 4 Couverture du livre de Mathieu Lindon