L'héritage de Philippe Starck en quatre portraits de designers
4. Mathieu Lehanneur
Né le 29 août 1974 - 35 ans
Agence : Mathieu Lehanneur
Formation : École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) - Les Ateliers
Distinctions :
2006 : Grand Prix de la Ville de Paris
2007: Talent de l'Audace aux Talents du Luxe et de la Création
2008 : Best Invention Award pour son système de dépollution de l'air par les plantes, Andrea
Spécialisation : Designers Industriel-Scénographie-Architecture d'Intérieur
Point Fort : La prospection
Élève de l'ENSCI, Mathieu Lehanneur a longtemps été frappé du complexe de l'éternel étudiant. Pourquoi, en effet, voudrait-il quitter ce vivier de la création qu'est l'école où tout est mis à la disposition des étudiants, où il peut confronter ses idées à celles de ses condisciples et où les plus grands designers viennent enseigner ? Mathieu Lehaneur s'y sent chez lui, devenant une légende dans les couloirs de ce milieu où les études sont généralement courtes. De cet enseignement prolongé, il retient deux idées qui marqueront profondément son travail : "La première, c'est que lors du passage d'une idée à la création de l'objet, l'intention de départ ne doit pas se perdre. La seconde, c'est une prise de conscience du champ du design. Il n'a pas de frontière, ni de définition. Il interagit avec les autres champs." La démarche de Mathieu Lehanneur ne se veut donc pas recherche pure, mais plutôt confluence et intersection. Ouverte sur le monde.
C'est d'ailleurs de sa vie quotidienne, lorsqu'il se fait cobaye pour l'industrie pharmaceutique afin de payer ses études, que lui vient l'idée de son mémoire de fin d'étude : le design de médicament. Ce projet, qu'il appelle "Deux comprimés matin et soir", cherche à encourager le patient à bien suivre la prescrition en démystifiant l'acte de la prise du médicament. Dix propositions de nouvelles formes et de nouveaux procédés d'administration des substances médecinales en résulteront, allant du stylo contenant un analgésique destiné aux plus petits à un médicament qui se découpe au mètre en fonction de la durée de la prescription. S'il n'arrive pas à convaincre les laboratoires qui ont trop peur de voir la crédibilité de leur traitement remise en cause, il obtient néammoins son diplôme en 2001 à 27 ans grâce à ce projet original.
À sa sortie de l'école, il collabore avec l'architecte François Roche de l'agence R&Sie, pour lequel il conçoit les meubles et luminaires du restaurant, de la librairie et des salles d'expositions d'un projet de musée d'art contemporain à Bangkok. En 2002, il fonde sa propre agence spécialisée en design produit et en scénographie d'exposition. Les commandes sont éclectiques : un porte-manteau mutant (Growing Coat-Rack) pour Yahan Serfaty, des papiers PH à température (Mini-Agents) pour EDF, un abri pour chats errants (House 213-6) pour l'association Chats Libres ou la réalisation d'un port-folio de luxe pour des photographies (Familles/Families) pour la Fondation Cartier. Il mènera également à bien un certain nombre de scénographies telles que celle de John Maeda à la Fondation Cartier. Mais parallèlement, Mathieu Lehanneur va privilégier les grandes institutions et autres bourses.
Lehanneur ne ferme aucune porte : il accumule les projets professionnels les plus divers, mais il fait attention à mener à bien de nombreux projets plus personnels d'auto-production. Cette organisation lui offre la liberté à laquelle il aspire et dans lequel il puisse l'inspiration pour ses créations. Ainsi, après avoir obtenu le bourse ANVAR (Agence Nationale de Valorisation de la Recherche) en 2001 pour son projet de fin d'étude, il arrive à obtenir la très convoitée Carte Blanche du VIA (Valorisation de l'Innovation dans L'ameublement) en 2006 qui permet à l'heureux élu de travailler pendant un an sur un sujet de son choix. En naîtra le projet utopique Éléments, composé de cinq objets : K, O, dB, C°, et Q, qui ont pour fonction d'assurer le bien-être physique global des occupants d'une habitation. Mais si Mathieu ne semble pas se préoccuper des débouchés commerciaux de ses oeuvres, il trouve néammoins des acheteurs inattendus : les musées. En 2005, le MoMA à New York fait en effet l'acquisition des dix objets thérapeutiques, ses objets faisant également partie des collections permanentes du FRAC et du musée des arts Décoratifs à Paris, du SFMOMA à San Francisco, ou encore du MUDAM au Luxembourg. On le retrouve également dans un bon nombre d'expositions récentes à l'instar de Dessiner le Design, actuellement au Musée des Arts Décoratifs à Paris.
Son esprit curieux et ses études prolongées marquent profondément son travail, qui est souvent envisagé comme un ensemble cohérent, à la manière d'un rendu d'étudiant qui serait guidé par un thème imposé. Dès ses premieres création, il cherche à créer une identité évidente entre forme, fonction et effet. "Je voudrais en effet 'déshabiller' suffisement les dispositifs et les systèmes mis en place pour qu’on les comprennent immédiatement." Mathieu Lehanneur est également un designer fasciné par les découvertes scientifiques. Alchimiste du design, il oscille entre sciences et humanités dans la tradition des inventeurs du XVIe siècle. Travaillant avec des technologies de pointes, il les hybride avec des éléments naturels telles que des plantes, des algues ou des poissons. Il revendique cette fascination qui le rend unique dans son domaine. Il parvient à embrasser la complexité de mécanismes scientifique en les rendant simples et transparents pour l'utilisateur.
Touche-à-tout, Lehanneur développe ainsi des projets de design exploratoire dans les mondes pharmaceutique, biologique ou astrophysique. Pour avancer sur ses projets, il n'hésite pas à s'associer, le temps d'une réflexion ou pour une série de projet, avec des ingénieurs, des psychiatres, des chercheurs ou des médecins. Il cherche à tester et valider des scenarii auxquels nul avant lui n'avait osé songé, la technologie n'existant pas encore. Plutôt que d'attendre une éventuelle mise au point d'une innovation technique, Mathieu Lehanneur renverse la problématique et, une fois le scénario imaginé, demande la mise au point des outils dont il a besoin pour réaliser sa vision. "Chaque projet est le fruit d'une histoire, d'une recherche et l'élaboration du scénario occupe près de 90 % du temps de conception. Puis le dessin suit", explique-t-il. Sa méthode de travail, qui se concentre presque entièrement sur le principe de scénario, découle de son incapacité, de son propre aveu, à maîtriser les outils de conception classiques (plans, modélisation, mise en production). Ce talent singulier sera d'ailleurs très vite reconnu, Mathieu Lehanneur étant nommé, tout juste trois ans après l'obtention de son diplôme, directeur du Post-Diplôme "Design et Recherche" de l'École supérieure art et design de Saint-Étienne (ESAD) St Etienne, fonction qu'il occupera de 2004 à 2008.
Après 2006, sa carrière prend une nouvelle tournure. En assurant pendant trois ans la direction artisique et design de l'ensemble des lignes de Paco-Rabanne Parfums, Mathieu Lehanneur assoit son succès. Après une longue période à accumuler les scénograhies, il lève le pied, et n'accepte désormais ce genre de projet que "s'il y a une vrai liberté de prise de parole, qui va au delà de la mise au service d'un artiste ou d'objets dans une exposition." Au contraire, le designer se tourne désormais vers un terrain qu'il n'avait pas encore expérimenté : l'architecture d'intérieur. Il réalise en 2007 le mobilier du Flood, restaurant parisien, et signe en 2008 deux espaces pour la fondation Le Laboratoire : une boutique, le Laboshop, et des bureaux, le Labobrain.
2009 marque une période charnière dans la jeune carrière du designer et le révèle au grand public. Il signe l'ensemble de vitrines des boutiques Cartier aux États Unis, avec un changement complet de la Facade du flagship New Yorkais de la marque. Il réfléchi également au projet d'une chaîne de restaurants sur Paris axée sur le concept saugrenu de "Fast Quality Food". Tenace, il co-fonde aux États-Unis Everything But The Molecules, une société spécialisée en solutions de design pharmaceutique dans la droite lignée de son projet de fin d'étude. Il commercialise également, après deux années de mise au point, Andréa, un purificateur d'air par les plantes dont la technologie est issues d'observations de la NASA et qu'il avait imaginé lorsqu'il avait sa "Carte Blanche".
Avec Mathieu Lehanneur, la prospection finit par se transformer en réalité. Dans le cadre de sa dernière collaboration en date, avec le CEA, il travaille sur les micro-énergies comme celles générées par la marche, vaste sujet d'avenir. Invité en tant qu'intervenant à la conférence TEDGlobal 2009, forum des innovateurs de la planète entière, Mathieu Lehanneur fait partie de ces trop rares designers à qui on ne demande pas uniquement de faire de jolis dessins, mais également de donner leur opinion sur le futur de la planète. Et qu'on écoute.
Crédits et légendes photos
Photo 1 LaboShop Crédit Mathieu Lehanneur
Photo 2 Le feutre thérapeutique. Crédit Véronique Huyghe
Photo 3 Port-folio Familles/Families. Crédit Studio Snap Shot
Photo 4 Andrea. Crédit Véronique Huyghe
Les autres portraits