De grands espaces diaphanes, un mélange harmonieux de bois et verre... l'Art Gallery of Ontario (AGO pour les initiés), qui a réouvert en 2008 après d'importants travaux menés par l'architecte Frank Gehry, donne décidément envie d'aller au musée.
Voici un exemple d'architecture contemporaine réussie. Fonctionnel sans être froid, confortable sans sacrifier à la beauté des lieux, l'Art Gallery of Ontario, située à la limite du quartier chinois de Toronto, est un musée dans lequel il fait bon se promener, s’asseoir dans le grand hall sous la verrière, ou contempler la plus grande ville du Canada du haut du cinquième étage.
Les collections, variées, vont des beaux-arts à la photographie, en passant par la peinture et la sculpture, tant du côté européen que canadien. Cependant, les collections sont présentées de façon thématique, et non chronologique. L'effort porte ici sur les moyens de rendre les oeuvres accessibles au grand public, en fournissant un point d'accès interprétatif. Ainsi, une salle invite à s'interroger sur les "créateurs de mythes et les chercheurs de sens", une autre sur "trésor enfoui : l’inconscient dans l’art européen", ailleurs sur le rapport à l'altérité. Cette intention louable pose néanmoins deux problèmes. D'abord, les cartels explicatifs proposent un schéma herméneutique qui oriente la lecture des oeuvres, ne laissant pas la liberté au visiteur de les appréhender. Ensuite, le mélange des époques dans une même salle conduit à des rapprochements qui manquent parfois de rigueur et ne permettent pas une contextualisation, pourtant nécessaire, des œuvres.
Ce ne sont pas tant les collections d'art européen, classiques, que les canadiennes qui sont ici objet de curiosité. Ainsi, les salles consacrées au "Groupe des sept", mouvement pictural majeur au Canada fondé en 1920, témoignent du souci porté à la mise en valeur des pièces exposées. L'une d’elles opère ainsi, par un jeu de dégradé de couleurs sur les murs, une comparaison entre les œuvres de ces sept peintres et celle d'autres artistes de leur époque qui défendaient une conception différente de la peinture : les murs sont gris clair pour le groupe des 7, et des pans de murs gris foncé ponctuels pour les autres. L'œuvre de chacun de ces sept grands peintres est ensuite présentée dans des salles qui leur sont consacrées. Ainsi, les grands tableaux aux couleurs vives de Lawren S. Harris, comme Lake and Mountains, attirent irrésistiblement le regard, invitation à se perdre dans les dégradés de bleus intenses, les images d'une nature première faite d'océan, de ciel, de montagnes et de nuages.
Plusieurs expositions investissent régulièrement les murs de l'AGO. En ce moment, l'art inuit est à l'honneur, avec Arctic Spirit, dont la richesse des oeuvres tient en une salle, permettant de découvrir cette communauté d'artistes Inuits de Cape Dorset, le studio Kinngait, qui fête ses cinquante ans d'existence.
Fondée en 1959 sous le nom de West Baffin Eskimo Cooperative, cette coopérative d'artistes est la plus ancienne au Canada et a acquis une renommée mondiale. Estampes et sculptures, des années 1950 à nos jours, donnent un bon aperçu de la créativité de ces artistes Inuits et de leurs préoccupations, car les sujets sont tout autant liés à leurs traditions culturelles, à leurs mythes, qu'aux problèmes sociaux (alcoolisme, pauvreté...). Une puissance indéniable se dégage de ces œuvres stylisées, fondée sur l'expression symbolique, à l'image de cette sculpture de Jutai Toonoo, Ce que père avait commencé est fini (2004), présentant divers visages particulièrement expressifs émergeant d'un bloc de pierre. Pureté des lignes aussi et des contrastes de couleurs, comme sur l'estampe intitulée Rabbit eating seaweed (1958-1959) de Kenojuak Ashevak.
Autre richesse de l'exposition, les quelques clichés en noir et blanc de John Reeves, photographe torontois qui a vécu quelques temps dans la communauté. Les portraits de certains des artistes côtoient l'image d'une main en train de façonner une sculpture, mettant en valeur l'acte de création dans ce qu’il a de plus concret. De ces photographies et des oeuvres, on aimerait en connaître bien plus que ce que cette unique salle laisse apercevoir. Mais le visiteur, éventuellement frustré, trouvera son bonheur auprès des autres trésors que recèlent les collections de l'AGO.
Arctic Spirit, jusqu'au 17 octobre Art Gallery of Ontario
317 Dundas Street west Toronto, Ontario, Canada
Mar-dim : 10h-17h30
Merc : Nocturne (20h30) - Entrée gratuite
Tarif plein $18
Tarifs réduits : $15-$10
Rens. : 1 877 225 4246
A noter, à partir du 26 septembre et jusqu'au 3 janvier, une exposition de photographies d'Edward Steichen : Edward Steichen : in High Fashion, The Condé Nast years, 1923-1937