L'Art Nouveau, vague perpétuelle
Sensuel, organique, libre, l'Art Nouveau s'offre une place de choix au musée d'Orsay, sous un angle inattendu. Si le mobilier des années 1900 a toujours été exposé dans une aile au premier étage du musée, et si ce mouvement est par là-même aujourd'hui reconnu par les historiens de l'art, son impact sur la création du XXe siècle est enfin explorée dans l'exposition Art Nouveau revival, qui se tient jusqu'au 4 février au célèbre musée sur les bords de Seine.
Une bouche de métro sert d'accueil. En soi, tout un programme. Symbole du début du siècle, au beau milieu de l'essor de l'Art Nouveau apparu en 1890 et disparu au seuil de la Première Guerre Mondiale, objet du quotidien pour un mouvement qui se voulait "utile", ancré dans l'architecture et la décoration d'intérieur. Le terme même de "bouche" montre les aspirations organiques de ce courant qui compte parmi ses notables représentants Hector Guimard, Alfons Mucha ou encore Aubrey Beardsley. Ce sont d'étranges sas de moquette violette qui guideront les pas pendant l'exposition, comme autant de fenêtres sur une facette du mouvement qui se révèle beaucoup moins limité que ce qu'en a retenu le commun, tant du point de vue chronologique que thématique. C'est tout le propos de l'exposition
Art nouveau revival : trancher et surprendre pour mieux créer du lien entre les époques, les mouvements et les aspirations, traduisant ainsi le retour périodique de l'Art Nouveau à travers le XXe siècle, son retour et sa renaissance d'entre les affres de l'oubli artistique.
La preuve par l'image sert également de ressort à l'exposition. Une salle permet le rapprochement du mouvement surréaliste et de l'Art Nouveau, appelé alors "
Modern'style" sous la houlette d'un Salvador Dali qui en reconnaît la "
beauté terrifiante et comestible". Là se trouvent surtout des photographies, quelques tableaux aussi comme ceux de Clovis Trouille, entourant une pa
rtie d'une entrée de métropolitain conçue par Guimard. C'est la vitalité, la liberté qui intéressent les Surréalistes. Les clichés, comme ceux de Man Ray à la Casa Mila, sont tout naturellement le point d'ancrage et l'emblème de cette admiration. Mais les surréalistes ne font que réagir vis-à-vis d'éléments architecturaux et picturaux : ils ne permettent pas le retour réel et la réappropriation complète de l'Art Nouveau. Le sas se referme.
Il est temps que les années 1960 et 1970 permettent à l'Art Nouveau de trouver une nouvelle jeunesse. Ce mouvement rebaptisé "
biomorphisme" par l'historien de l'art Robert Schmutzer en 1962, opposé au fonctionnalisme et au rationnalisme, trouve des connections plus qu'évidentes avec le psychédélisme. Il s'agit certes de jouer sur les lignes courbes, les références à la nature, mais plus encore sur un refus de l'agression que suppose le monde extérieur. L'art doit être total pour former un refuge à ces jeunes générations éprises de liberté, de sensualité.
L'exposition permet surtout de mettre en perspective le retour de l'Art Nouveau, ses thèmes, aspirations et utilisations au cours de ces deux décennies, pour mieux réhabiliter l'importance du mouvement dans ce qu'il traduit des valeurs de liberté, d'épanouissement personnel et de confort. La société de consommation n'a permis de développer en 1970 que ce qui existait déjà en germe en 1900. C'est ce dont témoignent des œuvres comme le
salon Djinn d'Olivier Mourgue, avec ses canapés souples et simples de laine orangée, ou encore la
Cellule Cafétéria, du même artiste, bulle de moquette encadrant des banquettes et une table, à placer dans son intérieur pour déjeuner dans un cocon violet et rose.
Se retrouver avec stupeur en face d'une pochette de vinyle, d'une planche de Gotlib ou même d'un simple cabas d'une grande enseigne de distribution, et se demander quel rapport cela peut avoir avec le vénérable Art Nouveau, serait oublier que Mucha, peintre du début du
XXe siècle, dessinait déjà des affiches publicitaires. L'Art Nouveau faisait partie du quotidien, comme l'attestent par exemple les créations des frères Keller, broc à vin etc. Ce n'est donc que justice que des artistes poussent le concept à son paroxysme, en utilisant les motifs de l'Art Nouveau pour vendre le fameux déodorant
Odo-ro-no, ou encore, comme Claude Lalanne, pour présenter de simples toilettes, en forme de gracieuse mouche de métal.
Art Nouveau revival tisse ainsi constamment des liens entre les époques, en faisant dialoguer des œuvres d'une décennie à l'autre, mais qui ont chacune à leur façon porté la vivacité du mouvement épris de sinuosités et ornementtations florales. Ainsi, ce défilé de chaises, comme autant d'animaux de la Grande Galerie de l'évolution au Muséum d'Histoire Naturelle, associe les silhouettes graciles de la chaise
Gazelle de Dan Johnson (1958), de la chaise
Flori de Günter Beltiz (1967) ou de celle de Carlos Bugatti issue du mobilier de la salle de jeux et de conversations "
escargot" (1902), dans un seul élan qui, sur plusieurs décennies, souffle comme un vent de liberté que peu de choses arrêtent.