Sur trois étages, la colossale exposition "Tiempo como materia" ("Temps com a matèria" en catalan) a pris place au Musée d’art contemporain de Barcelone jusqu'au 31 août. Dans le flou artistique, une poignée d'oeuvres retient l’attention du visiteur.
Situé au nord de la ville, pas si loin de l'avenue de la Rambla où les touristes font légion, l'imposante structure du Macba se dresse fièrement en plein coeur d'une place animée par quelques skateurs. Inauguré en 1995, le Musée d’Art Contemporain de Barcelone a été conçu par l’architecte américain Richard Meier, qui en a fait un édifice en parfaite harmonie avec les bâtiments limitrophes. Ses façades immaculées et ses larges parois de verre aux allures de miroirs se fondent effectivement dans le paysage ensoleillé de la ville catalane.
Le silence règne
Après avoir traversé le hall d’entrée, dont le silence fait résonner les pas et quelques chuchotements étouffés, les visiteurs entrent dans le coeur de l’exposition actuellement proposée - "
Tiempo como materia" : "Le temps comme matière". Un titre énigmatique pour cette importante rétrospective qui présente différentes œuvres de la deuxième moitié du XXe siècle, mais dont le sens prend peu à peu forme au fil des heures passées à arpenter les nombreuses salles de ce musée diaphane, et à tenter de saisir la signification des multiples travaux venus du monde entier qui y sont exposés.
Dès la première salle, suffisamment spacieuse pour offrir à chacune des oeuvres un réel espace d’expression, un tableau - peut-être le plus marquant - accroche le regard. Peint en 1963 par le célèbre artiste catalan Antoni Tàpies,
Forma Blanca se distingue par l’amas de couches de pigments jetées sur du contreplaqué. La forme est indistincte, mais l’impression, forte : celle d’être absorbé par la puissance d’une matière repartie ça et là, au hasard d’une fulgurance inspirée.
Plus loin, parmi la multiplicité des tableaux, sculptures et installations qui se succèdent au travers d’une folle diversité, ressort le dessin d’un pont esquissé par le peintre hollandais Constant Nieuwenhuys (1920-2005). Sur le papier, le projet se concrétise par la présence abusive de traits, qui sont autant de fils incarnant la complexité technique et architecturale d’une telle production. Au rez-de-chaussée, toujours, des photographies d’immeubles new-yorkais prises par l’Allemand Hans Haacke s'alignent à perte de vue, donnant à voir l’uniformisation esthétique des grandes villes.
Vertiges
Au premier étage, après qu'on a emprunté d’étroits escaliers à l’aspect clinique, siège une œuvre de León Ferrari, l’un des principaux représentants du conceptualisme argentin. Ici, le travail s’apparente à celui d’un documentaliste, ou d’un détective qui aurait réuni tous les articles concernant de près ou de loin des actes criminels. Vestige d’une temporalité ambiguë - à la fois obsolète du fait de la datation de son contenu, et toujours d’actualité par sa réalité physique -, cette écrasante matière informative agresse le regard. La multiplicité de ses formats, la petitesse de l’écriture, et le geste obsessionnel de la collecte participent d'un sentiment de malaise.
A l'étage suivant, une œuvre envahit tout un pan de mur par une juxtaposition minutieuse de cartes d’identités d’inconnus. Produit en 2004 par l’artiste conceptuel espagnol Francesc Abad,
El Camp de la Bota fait de son paradoxe sa force : un chant à la diversité des identités, mais dont la présentation en masse broie la singularité.
Dans le labyrinthe des salles du Macba, où il faut passer plusieurs heures pour apprécier l'ensemble des travaux, le titre de l'exposition semble moins faire référence à la thématique des oeuvres qu'à la visite elle-même : le temps de parcours devient la matière même.