Buller, tout un art
L'exposition VRAOUM !, à la Maison Rouge, à Paris, prouve que bande dessinée et art contemporain font bon ménage.
Ses petites cases accolées les unes aux autres, ses dessins et bulles (ou "phylactères", dans la langue d'Hergé), son histoire, ses maîtres... les commissaires David Rosenberg et Pierre Sterckx auraient pu faire une énième exposition encyclopédique sur le Neuvième Art. Mais nulle volonté, à la Maison Rouge, de concurrencer l'ouverture récente de la Cité de la bande dessinée et de l'image à Angoulême. Il s'agit, avec VRAOUM !, de mettre en regard la bande dessinée et l'art contemporain. Et de répondre par une pirouette à la sempiternelle attaque qui est faite à la bande dessinée : non seulement elle est un art à part entière, mais elle est également une source d'inspiration pour plasticiens, sculpteurs et peintres.
Batman obèse, Superman grabataire
Dans l'architecture industrielle du musée parisien, tout de béton et murs immaculés, les planches originales font jaillir les formes et les couleurs. Elles se comptent par dizaines, qu'elles soient centenaires, comme celles des américains McCay et Outcault, les pères respectifs de Little Nemo et du Yellow Kid, ou contemporaines (Geluck, Moebius, Bilal pour ne citer qu'eux). Il y a aussi les cousins éloignés : super-héros des comics américains, mangas... et le mythique Walt Disney. La famille est au complet. Les différentes salles d'expositions proposent des regroupements thématiques et de genre (Bestiole et créatures, Far West, S.F. …), par courant (Hergé et la ligne claire, Mangas !, Walt Disney productions…) ou chronologiques (Les pionniers de la bande dessinée). Chaque espace s'illustre donc non seulement par des planches ou des dessins originaux des principaux dessinateurs, mais aussi par des œuvres d'art uniques en lien direct avec le Neuvième Art.
Ainsi, dès l'entrée, une couverture de Fluide Glacial, agrandie et froissée, jonche le sol. Un peu plus loin, le peintre américain Keith Haring propose sa vision de la mascotte Mickey. Dans une autre salle, à côté d'un original de Lucky Luke, trône un morceau de pain surplombé d'une radiographie, révélant la lime qu'il contient, stratagème dont usaient les infatigables Dalton pour s'évader. Ce dérapage artistique contrôlé prend plus d'ampleur encore à l'approche des héros masqués, en trois dimensions avec l'impressionnant ensemble de sculptures Hospice des Super Héros de Gilles Barbiers, qui nous propulse au milieu d'un Captain America grabataire sur un lit d'hôpital aux côtés d'un Superman en déambulateur, grandeur nature, ou avec le Batman obèse de Virginie Barré, flottant dans les airs malgré ses kilos en trop. D'autres œuvres ponctuent ainsi le parcours, comme ce squelette de Dingo, le célèbre personnage de Walt Disney, d'un réalisme étonnant. Ou encore un phylactère en forme de néon, deux autres conçus à base de fleurs synthétiques, et une sculpture de Fred Pierrafeu.
Condensé de culture BD
Les bédévores sont évidemment chez eux, retrouvant des auteurs qu'il connaissent par coeur, quitte à pouvoir anticiper le contenu d'une salle (la section Far West se limite à Blueberry, Lucky Luke et Jerry Spring), et éventuellement se priver du plaisir de découvrir un style de dessin inconnu, même si tous les travaux sont judicieusement choisis. Le commissaire David Rosenberg insiste sur le fait que "le coeur de l'exposition, ce sont les planches originales de BD". La ballade est certes aussi ludique que didactique, offrant un bon condensé de culture bédéphile, mais les vedettes ne sont pas toujours les feuilles de papiers fragiles, ces crayonnés vieux d'un siècle pour certains, trésors dont seuls quelques initiés peuvent estimer la valeur. Ce sont davantage les sculptures, peintures et détournements multiples des dessins que nous pensions connaitre par cœur, et auxquels la nouvelle forme et la mise en scène donnent un second souffle, qui attirent l'oeil des visiteurs.
Avant de quitter la Maison Rouge, passage obligé par l'œuvre de Rivane Neuenschwander, dont le mur de cases colorées et les craies attisent les élans de créativité des visiteurs courageux. Ou comment une planche géante de bande dessinée devient elle-même objet d'art contemporain.
Basil Coulon
Le 04/09/09
Crédits et légendes photos :
Vignette : Sammy Engrammer, Sans parole, 2005 - Néon, plexiglas, acrylique 120 x 140 cm Courtesy Galerie Claudine Papillon, Paris
Photo 1 Victor Hubinon (et Jean-Michel Charlier) - Buck Danny (Planche 1 de l'épisode "Le Tigre de Malaisie", publiée dans le Journal Spirou n°982 du 7 février 1957) 55,5 x 38,5 encre de Chine, aquarelle au verso
Photo 2 Keith Haring, Mickey, 1981 - Huile sur toile 127 x 127 cm Collection Sylvio Perlstein, Antwerp
Photo 3 Hsia-Fei Chang, Hi, 2008 - 210 x 165 x 6 cm Polystyrène, fleurs synthétiques Courtesy Laurent Godin