
IL FALLAIT BIEN LE TALENT de l'actrice iranienne Golshifteh Farahani pour porter le rôle de cette femme qui va s'affirmer peu à peu. La comédienne qui incarnait Sepideh dans A Propos d'Elly d'Asghar Farhadi se voit à nouveau confier le rôle difficile d'une femme asservie et qui tente malgré tout de se libérer. Allongé sur le tapis, plongé dans le mutisme, son époux incarne une société où règne la dictature des hommes, un état répressif qui, le temps du film, se trouve momentanément anesthésié, permettant à toutes les femmes de se libérer : la tante rejetée à cause de sa stérilité comme la soeur, jeune adolescente, vendue à un homme de 40 ans pour honorer un pari de combat de cailles que son père n'était pas en mesure de payer.
LA CAMÉRA SUIT EN PERMANENCE l'héroïne, et le monde n'est perçu qu'à travers son regard, celui d'une femme qui ne peut plus faire confiance aux hommes et dont l'environnement se résume à une prison, symbolisée par le grillage du niqab jaune qui la recouvre dans tous ses déplacements. Au dehors, un croisement de rue, une charrette, des militaires, sans doute l'Afghanistan, mais peu importe, c'est un pays sans âge, sans nom, un pays en guerre. Les tirs font rage et contrastent avec le silence intérieur de la maison, peut-être pour mieux souligner la violence intérieure qui habite cette femme et dont celle-ci prend peu à peu conscience. Jean-Claude Carrière, co-scénariste d'Atiq Rahimi, évoque un "film d'action", non pas au sens traditionnel du terme - l'action n'est pas dans les bombes ni les roquettes - mais pour figurer la métamorphose intérieure : l'explosion est en l'héroïne ; elle est en l'homme qui va se relever lorsque sa femme lui aura confié son ultime secret ; elle est en la "syngué sabour" qui explose au terme de l'insupportable.
caméra, tantôt lents et délicats quand ils suivent son regard rêveur, tantôt brusques et violents lorsqu'ils'agit de s'abriter dans un souterrain lors des attaques. Le réalisateur afghan estime que ce film ne parle pas seulement de son pays : "Afghanistan, Syrie, Mali, ... ce film peut parler à tous." Se focalisant sur le destin d'un personnage, Atiq Rahimi ne parle pas seulement des femmes de son pays, mais bien de toutes celles et tous ceux qui, asservis, doivent lutter contre l'aveuglement. Syngué Sabour s'ouvre sur un mur aveugle, il se referme sur les lèvres colorées de la femme. 


