L`Intermède
All is Lost, JC Chandor, Robert Redford, Margin Call, cinéma, Festival de Deauville, Prix du jury

"TOUT EST PERDU ici, sauf l'âme et le corps, ou du moins ce qu'il en reste." Tout commence par une lettre d'adieu et l'objet responsable du désastre qui flotte presque innocemment au milieu de l'océan. Ce container, rempli de chaussures de sports, à la dérive au milieu de nulle part, le bateau du protagoniste s'y est heurté huit jours plus tôt dans l'Océan Indien. La coque est trouée, l'eau s'engouffre, et le marin, seul, se retrouve sans instruments de navigation ou moyens de communication dans un bateau en train de couler. Ce sont ces huit jours de lutte pour survivre que raconte All is Lost, le nouveau film de JC Chandor, réalisateur de Margin Call, qui a remporté le prix du jury au Festival de Deauville cette année.

Par Claire Cornillon


All is Lost, JC Chandor, Robert Redford, Margin Call, cinéma, Festival de Deauville, Prix du juryLA CAMÉRA EST À LA SURFACE de l'eau. Que de l'eau, rien que de l'eau. Huis clos paradoxal au milieu de l'ouvert, All is Lost se construit sur un espace duquel le protagoniste ne veut pas s'échapper mais qui demeure, à l'inverse, le seul refuge contre l'immensité de la nature qui l'accable. L'eau et le ciel. Seule la ligne d'horizon structure le paysage, bleu à n'en plus finir. Et seule la tempête bouleverse les lignes routinières. Dans ce contexte, le bateau, espace étroit où se résume une vie, prend toute sa densité. Il est le sol, le toit aussi. Le personnage, interprété par Robert Redford, est réveillé par l'incident initial, alors que l'eau commence à s'infiltrer. Il entre dès lors dans un monde de cauchemar. A la routine de la vie de marin se substitue un terrible engrenage : à chaque instant surgit un nouveau problème,$ qu'il faut tenter de résoudre. Aucune voix off et aucun récit ne viennent expliciter ce qui se passe à l'écran. Seuls les signes extérieurs, si faibles, nous laissent deviner ce que le personnage ressent. Il demeure calme, traite les problèmes les uns après les autres, trouve chaque fois une solution, comme pour faire reculer l'inévitable.


Descente aux enfers

L'ESPACE SE DÉLITE TOUJOURS PLUS : la coque se remplit d'eau, le mât tombe et doit être détaché et, finalement, il faut bien quitter le navire pour tenter sa chance sur un canot de sauvetage. Tout est précaire et finit par disparaître. Or, à mesure que l'espace maîtrisé et domestique du bateau est déconstruit, celui, All is Lost, JC Chandor, Robert Redford, Margin Call, cinéma, Festival de Deauville, Prix du jurymenaçant, de l'extérieur et du monde naturel est de plus en plus présent. La beauté énigmatique des poissons qui nagent autour de cet étrange objet qu'est le canot rond, dans des plans sous-marins où la caméra filme en contre-plongée, laisse la place à la présence angoissante des prédateurs qui rôdent auprès d'une proie potentielle.

FILM CATASTROPHE, film d'action, western aussi de l'homme confronté à la nature dans ce qu'elle a de plus sauvage : All is Lost fait écho à bien des genres sans appartenir à aucun d'eux. Le film joue sur des imaginaires du cinéma américain - notamment, aussi, par la présence charismatique d'une de ses très grandes figures, Robert Redford - tout en désamorçant les attentes. Certes, l'intrigue, si l'on peut utiliser ce mot ici, s'étend d'incidents en accidents, d'obstacles en difficultés, dans une ascension croissante de la tension. Mais aux grands effets du film catastrophe, aux mouvements de foule auxquels il nous a habitués, JC Chandor substitue un combat solitaire et silencieux. Il n'y aura aucun cri, aucun groupe à former pour survivre. L'homme est seul et ne peut compter que sur lui-même. Le scénario, description d'une trentaine de pages, était dès le départ un défi proposé à des producteurs habitués à des scénarios dialogués de 120 pages.



Héroïsme

DE MÊME, S'IL POURRAIT INCARNER le héros de film d'action, celui qui envisage la difficulté et y cherche une solution, faisant preuve d'ingéniosité et de courage, utilisant les moyens du bord - on pense par exemple au John McClane de Piège de Cristal (John McTiernan, 1988), policier qui affronte seul des All is Lost, JC Chandor, Robert Redford, Margin Call, cinéma, Festival de Deauville, Prix du juryterroristes enfermé dans un immeuble de bureaux - le personnage de All is Lost, dont l'identité reste inconnue, déjoue également ce modèle. Pas de bons mots, pas de surdramatisation de l'événement ou de son héroïsme. Ni le montage, ni la musique ne soulignent avec trop de vigueur l'horreur de la situation qui s'impose d'elle-même.

CE PERSONNAGE QUI N'ABANDONNE JAMAIS n'est pas construit comme un être grandiose mais demeure dans une persistance sourde et une force constante. Il ne se définit que par ses actions, par le combat qu'il va mener dans l'instant. Aucun dialogue dès lors qu'il n'y a pas d'interlocuteur, à l'exception de cette lettre jetée à la mer comme une voix de celui qui n'est déjà plus. Le corps et le visage de Robert Redford ne peuvent être que le point focal lorsqu'il ne reste plus rien. L'acteur livre ici une performance entièrement physique où sa fragilité
potentielle et chaque fois remise à l'épreuve contraste avec le calme et la force qu'il affiche. Pilier de l'image, il est aussi la bouée à laquelle se raccroche le spectateur, tendu par l'angoisse qui grandit. C'est cette figure même de l'acteur, qui semble porter la sagesse et la force de son histoire cinématographique, qui rend vraisemblable son combat héroïque. Pas tant parce qu'il réalise lui-même ses cascades, mais bien davantage parce qu'il préexiste dans l'imaginaire du spectateur comme un homme de légende, au cinéma.



La catastrophe

MAIS QUELLE EST LA CATASTROPHE à laquelle est confrontée ce héros anonyme ? Pas de changement climatique dramatique, pas de lutte contre les terroristes, pas d'accident spectaculaire. Simplement la nature, la tempête qui sévit régulièrement dans l'océan et qui devient fatale lorsqu'il n'y a plus d'abri. Il n'y a pas de bien et de mal dans l'action de l'océan et dans la tempête. Il n'y a que la survie primordiale de l'homme face aux éléments. Or, de façon implicite, c'est pourtant bien l'homme lui-même et le monde contemporain qu'il faudrait blâmer dans cette histoire. Car la raison de la chute et de la descente aux enfers du personnage est bien ce container, cet objet anodin, relique d'une industrialisation forcenée et All is Lost, JC Chandor, Robert Redford, Margin Call, cinéma, Festival de Deauville, Prix du juryd'un commerce mondialisé au mépris de toute valeur. C'est contre lui que vient se heurter la barque pacifique d'un homme qui, précisément, va faire corps avec la nature. Le container est une anomalie au milieu de l'océan, indice microscopique mais bien dévastateur d'un système qu'il représente. Rien d'étonnant dès lors à ce que les immenses barges remplies jusqu'aux cimes de marchandises passent à côté de l'esquif en détresse sans le voir. Dans Margin Call, JC Chandor dénonçait déjà la dimension impitoyable du monde économique contemporain. All is Lost semble poursuivre, sans en avoir l'air, cette même veine.
 
C. C. 
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à Deauville, le 13/09/2013

All is lost, Huis clos catastrophe de JC Chandor
Avec Robert Redford
106 minutes
Sortie le 11 décembre 2013

Festival de Deauville - Prix du Jury ex-aequo


Cet article fait partie du dossier Deauville 2013

 



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