UNE ANCIENNE PROSTITUÉE DONT LE MARI est assassiné et qui va venger sa mort, un fanatique religieux polygame venu de l'Utah qui se prend pour un prophète et un shérif excentrique qui mène l'enquête. Trois personnages hauts en couleur pour un western sombre et déjanté réalisé par les frères jumeaux Noah et Logan Miller. C'est leur seconde collaboration avec l'acteur Ed Harris, le comédien ayant déjà permis la réalisation de leur premier long métrage. Shérif Jackson était présenté en compétition au Festival de Deauville et sort en salles le 9 octobre.
FAIRE LE MÉNAGE. Bon vieux motif du western, aussi bien classique que spaghetti, la figure vengeresse trouve une nouvelle incarnation dans Shérif Jackson. Mais sous la forme, cette fois, d'une femme qui a tout perdu, son mari tué comme son enfant lors d'une fausse couche, et qui va finir par laisser derrière elle une traînée de cadavres. Elle et son mari Miguel avait pourtant seulement essayé de se construire une vie, dans leur maison isolée, en travaillant leur terre. Victimes du racisme ambiant, ils peinent à s'en sortir, alors que le banquier local leur vole leurs quelques économies. Mais la situation empire lorsqu'une querelle de voisinage éclate avec le pasteur local qui laisse les troupeaux de sa congrégation saccager les champs du jeune couple. Miguel tente de réagir mais il est assassiné par les hommes de celui qui se dit prophète. Sarah reste seule, à la merci de ce fanatique.
ELLE N'EST POURTANT PAS l'un de ces personnages sympathiques, mélodramatiques, auxquels on s'identifie parce que l'on s'apitoie sur leur sort. Elle est, à l'image de son environnement, rude. Ancienne prostituée, Sarah accomplit sa vengeance dans les habits même qui représentent cette profession à laquelle elle a essayé d'échapper en vain. Objectivée par les hommes qui ne voient en elle qu'un morceau de viande à engloutir, elle réplique l'arme à la main et ne fait pas dans la demi-mesure.
– L'enquêteur
MAIS CE N'EST PAS TANT cet aspect de l'intrigue, pourtant factuellement central, qui construit le filmdes frères Miller dans sa singularité, mais bien deux autres figures, elles aussi archétypales et cependant excentriques : le shérif et le prophète. Le shérif Jackson danse les cheveux au vent au lever du soleil. Avec sa veste bleu et son pantalon à carreaux, il apporte une touche de couleur et de désordre dans cet univers impitoyable où chacun peut décider d'imposer son propre ordre aux autres.
LE SHÉRIF ENQUÊTE, SUIT LES TRACES, reconstitue la scène du crime, fait analyser les preuves, important, de façon étonnante, des motifs du film policier dans cet univers de western. Après tout, de l'hostilité des plaines arides à la jungle urbaine, il n'y a qu'un pas et, d'un côté comme de l'autre, policiers et criminels sont parfois bien difficiles à différencier. Cornélius Jackson n'hésite pas à descendre le shérif en place à son arrivée dans la ville, mais il n'utilise la violence que pour faire régner la justice, selon son propre code du moins. Univers ambigu et violent, le western, tout comme le film noir, pose toujours des personnages à la frontière de la moralité. Oscillant entre perspicacité, charisme et folie, le shérif Jackson suit son propre chemin.
– Le fanatique
OR IL S'EST AVENTURÉ sur les terres d'un fanatique qui se croit prophète et qui fait régner sa propre loi sur la région, qu'il dit être une terre sainte. Il mène sa congrégation à la baguette et entend bien imposer sa loi. Il marque d'ailleurs son territoire d'une allée de croix blanches plantées sur le chemin de sa demeure. Le toujours inquiétant Jason Isaacs, que l'on connaît en blond platine lorsqu'il interprète Lucius Malefoy dans la saga des Harry Potter, porte ici les cheveux longs mais noirs, tombant sur son habit austère et soigné de pasteur.
INFLEXIBLE DANS SON LONG MANTEAU D'ÉBÈNE, il est pourtant plus prompt à condamner les péchés des autres que les siens, louant le seigneur en plein rapport sexuel avec une, ou plusieurs, de ses femmes. Polygame venu de l'Utah, il ne cesse de jeter la première pierre et cherche surtout à imposer sa volonté et exercer son pouvoir. Pourtant, il ne semble pas feindre sa foi, ce qui le rend plus inquiétant encore. Ainsi, lorsque ses projets rencontrent une résistance, il n'hésite pas à se retourner contre son dieu, abattant une croix et déchirant la Bible avant de tenter de se repentir, contrit devant sa faute. Faux prophète convaincu et vrai fanatique, il incarne la loi du plus fort dans un univers où chacun peut décider de construire son propre royaume s'il a les moyens de l'imposer par la force. Puisqu'aucune institution n'est fiable – ni le banquier qui arnaque Sarah et son mari et les méprise, ni le shérif local dont Cornélius Jackson va se débarrasser -, le droit est du côté de celui qui peut imposer son autorité.
PAR LA VERTU DES GRANDS ANGLES, les personnages se perdent dans des plans où dominent la nature et les terres sèches et arides du Nouveau-Mexique. Point d'accroche du regard, ils le heurtent comme une anomalie au sein d'un environnement dans lequel ils luttent pour survivre. Partant, les enjeux de pouvoir s'exacerbent pour le contrôle d'un espace de liberté et de vie et ce duel, qui oppose dès les premiers images la raideur terrifiante du pasteur à l'énergie iconoclaste du shérif, ne peut que se résoudre dans un bain de sang.