L`Intermède
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LE 14 JUILLET 1862, dans les alentours de Vienne, les yeux de Gustav Klimt s'ouvrent sur un monde qu'il allait embellir. En mère reconnaissante, la capitale autrichienne lui rend un puissant hommage à l'occasion de son 150e anniversaire. Pas moins de dix musées lui consacrent des expositions cette année, toutes centrées sur différents aspects de son oeuvre et de sa vie. Un marathon artistique nécessaire pour qui veut connaître ce peintre aux multiples visages.

Par Julien Walterscheid-Finlay

MULTIPLE ET OMNIPRÉSENT, Gustav Klimt (1862-1918) est envahissant. Il resplendit au-delà de ses œuvres, et son or rayonne dans toute la ville : impossible de le manquer pour qui va à Vienne cette année. Des souvenirs touristiques aux multiples affiches dans les rues, on le retrouve au calme dans les musées, on le croise par hasard au détour d'un mur ou d'un plafond. Levez les yeux, les bannières vous rappelle sa présence, au gré du vent.

Une ville décorée

LA VIENNE DE LA FIN DU SIÈCLE était la quatrième plus grande ville d'Europe, et sa prétentieuse haute-bourgeoisie a su catalyser l'esprit créatif de la Belle époque, permettant au peintre de naître dans un laboratoire d'émotions, de finesse et d'érotisme. Gustave Klimt est en tout point le produit de son temps, avant d'en devenir un acteur, puis un visionnaire. Une valse en trois temps, qui s'est jouée près du Vienne, Gustav Klimt, Burgtheater, Kunsthistorisches Museum, Judith, Salomé, Hermann Bahr, Freud, Strauss, Eve, Sécession, Le baiser, Leopold, Egon Schiele, année, klimt, vienna, expositionDanube dont la lente et perpétuelle course bleutée contraste avec le désordre des innombrables grues jaunes d'aujourd'hui. Vienne est en perpétuelle mutation. C'était déjà le cas à l'époque de l'Empire, et l'on retrouve cette dimension dans le travail de Klimt, né du tumulte entre Eros et Thanatos, de la gloire d'une société décadente, entre l'or et l'obscur. Un travail constamment tourné vers la beauté de la femme, sous toutes ses formes, jusqu'à en faire un thème central et récurrent de son oeuvre, où le symbolisme féminin se conjugue aux fantasmes masculins. 

BIEN QU'ENFANT DE MODELE ACADEMIQUE en suivant des cours à l'École des arts décoratifs de Vienne, Klimt se dégage très vite des conventions en questionnant la représentation de la réalité, pour accorder à l'illusion et à l'invisible une place de choix. Ses deux frères et lui sont commissionnés en 1886 pour décorer les escaliers et le tympan du Burgtheater, avant de s'attaquer à l'escalier central du musée impérial, le Kunsthistorisches Museum. Chargés d'y représenter l'histoire de l'art de l'Égypte ancienne à la Renaissance italienne, le trio offre à Vienne l'une des plus sublimes sources de dépaysement temporel que l'on puisse trouver en Europe. Bien que les époques représentées appartiennent au passé, les femmes sont clairement des images contemporaines. Témoin, la personnification de la sculpture, image de l'Antiquité, qui arbore une chevelure bouffante, un air de femme languissante assez demi-monde et typique de l'époque. Nue et ancrée dans le marbre peint, elle se dégage du reste de l'oeuvre en attirant le passant par un regard rempli de vie et hautement séduisant. Première d'une longue liste de femmes fatales que le peintre mettra en scène, elle représente clairement l'une des principales qualités de l'art de Klimt : un rapport au réel saisissant, un souffle de vie qui transcende la peinture.



Le corps féminin idéalisé

FEMMES FATALES OU FATALEMENT Vienne, Gustav Klimt, Burgtheater, Kunsthistorisches Museum, Judith, Salomé, Hermann Bahr, Freud, Strauss, Eve, Sécession, Le baiser, Leopold, Egon Schiele, année, klimt, vienna, expositionFEMMES, l'artiste honore autant la mère que la putain, l'Eve que la Judith, la vierge impuissante que l'Athéna. Les nombreuses statues des impératrices Marie-Thérèse et Sissi, le sceptre à la main et le regard puissant, dispersées dans la capitale çà et là n'ont rien à envier au pouvoir érotique et dominateur qui se dégage des corps féminins de Klimt. On retrouve dans Judith I l'association entre la faiblesse stéréotypée de la femme et une inquiétante force castratrice. Le sexuel et la mort sont on ne peut plus présents en cette fin de siècle où s'impose Freud, dont les travaux révolutionnent la pensée moderne. Que dire de Judith II (Salomé) , peinte en 1909, qui met plus en scène l'orgasme meurtrier de la femme fatale que la peine d'une vertueuse veuve juive, annonçant la Salomé de Strauss, censurée car jugée trop scandaleuse dans de nombreux opéras, dont celui de Vienne ? Mêler innocence et fureur, adolescence et timbre dramatique : c'est là tout le travail du compositeur allemand que le pinceau du peintre sait traduire.

CETTE RECHERCHE D'UN NOUVEL ID
ÉAL, que les académiciens condamnent, pousse la jeune génération à fonder le mouvement Sécession en 1897, guidé par un Klimt inspiré par les travaux d'Hermann Bahr. Comme tous les courant Art Nouveau en Europe à cette époque, le renouveau des arts et la recherche d'un art total figurent au centre des revendications. Le Palais de la Sécession, construit la même année pour trôner sur la Friedrichstraße, est tout autant un lieu d'exposition privilégié qu'un manifeste architectural à lui seul. Entre ce bâtiment et le Belvédère, sur les hauteurs de la ville, un détour par la faculté s'impose, démontrant encore une fois l'impossible évitement du peintre dans la capitale. En 1898, l'impressionnante université, riche en marbre et dorures parfaitement conservés, doit voir son grand hall arborer la représentation par le peintre de trois allégories, Philosophie, Jurisprudence et Médecine. Mais les critiques et les polémiques empêchent les oeuvres d'êtres installées. Si elles ont brûlé pendant la guerre, des reproductions photographiques sont visibles à la villa Klimt, dernier atelier de l'artiste et actuellement en rénovation.


Une pluie d'or

CES NOMBREUSES VISITES confinent bientôt à une véritable chasse aux trésors
, riche en couleurs et découvertes, qui se termine comme toutes les belles aventures par un baiser. Der Küss, la plus fameuse de ses toiles, met en scène le peintre lui-même tenant dans ses bras sa chère Emilie Flöge et l'embrassant, chaleureusement, pour l'éternité et à la vue de tous. Il n'y a plus de rivalités entre les couleurs et l'obscurité, entre la vie et la mort. La cristallisation des amants est complète, l'or envahit les corps et la toile. Point culminant de sa période dorée, le tableau symbolise une réconciliation des deux sexes qui s'unissent. La femme n'est pas soumise à l'homme, celui-ci n'est plus dominateur : elle s'offre corps et âme à celui qui l'aime respectueusement, et dont la richesse des couleurs utilisées reflète la profusion du désir. Aux couleurs primaires s'ajoutent d'autres teintes composées dont la fonction paraît primordiale. L'orange, par exemple, qui est un mariage du jaune et du rouge, fait coïncider la chaleur de la proximité maternelle et l'idée de la création. Cette alliance suit un cheminement qui va de la couleur comme matière au signe, et du signe au langage corporel.

SUIVANT A LA LETTRE son affirmation que tout art est érotique, Klimt abandonne peu à peu l'or avec le début de l'expressionnisme. Sa découverte de Henri Matisse,  Edvard Munch ou encore Toulouse Lautrec à l'occasion d'une exposition en 1909 l'amène à célébrer le corps sans ornements, tout en gardant un langage sexuel et voluptueux, rempli d'espoir, ce qui le distingue de son contemporain Egon Schiele, exposé en parallèle avec Klimt au musée Leopold. Alors que le premier livre une oeuvre tourmentée et parfois violente, l'auteur du portrait de Mäda Pimavesi offre au monde un voyeurisme émouvant et apaisé. Ses derniers travaux, bien plus épurés chromatiquement, célèbrent la Vienne, Gustav Klimt, Burgtheater, Kunsthistorisches Museum, Judith, Salomé, Hermann Bahr, Freud, Strauss, Eve, Sécession, Le baiser, Leopold, Egon Schiele, année, klimt, vienna, expositionjouissance et le plaisir. Son tracé a toujours su être bienveillant à l'égard du corps féminin, le déshabillant pour mieux l'exposer dans toute sa vérité, telle Nuda Veritas, peinte en 1899, qui défie dans toute sa nudité, loupe à la main, le public viennois conservateur. Klimt appelle à dépasser les apparences, refusant le simulacre ostentatoire. Ses femmes sont certes vêtues d'or et de couleurs chatoyantes, mais La Mariée, commencée en 1917 et inachevée, nous apprend qu'il les peignait nues, avant de les couvrir.

J. W.-F.
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à Vienne, le 06/03/2012

Année Gustav Klimt à Vienne
Dates et conditions variables en fonction des musées
Événements jusqu'en novembre 2012
Tout le programme ici

 



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