L`Intermède
Exposition : Robert Adams au LACMA, à Los Angeles, jusqu`au 3 juin 2012.

NÉ EN 1937 À ORANGE dans le New Jersey, Robert Adams a vécu la majeure partie de sa vie dans le Colorado, état de l'Ouest Américain. C'est cette terre, cette promesse d'eldorado qu'il s'est attaché à restituer à travers d'innombrables clichés, toujours noirs et blancs, atemporels et pourtant profondément marqués par l'avancée d'une marche humaine irrésistible. L'exposition Robert Adams : The Place We Live organisée par le Los Angeles County Museum jusqu'au 3 juin 2012, retrace les quarante années de pérégrinations géographiques et surtout esthétiques de ce photographe engagé. 

Par Asmara Klein


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UNE ROUTE COURT AU LOIN. Quelque écume dans le ciel contemple avec détachement ce chemin qui s'engouffre vers l'horizon comme si de rien n'était. La plaine, balayée par les ombres nuageuses, ne s'inquiète pas davantage de cette voie qui se fraie. Simple et explicite, le cliché North of Keota, Colorado (1973) apaise autant qu'il interroge. Le grillage posé le long de la route s'inscrit comme un liseré délicat dans le paysage, lascivement caressé par le vent, sublimé par une lumière diffuse. Mais au loin, le chemin s'arrête et disparaît : un cul-de-sac ? Il s'achève auprès d'une habitation imperceptible, comme engloutie par les vagues de la prairie. Pourquoi signaler la présence humaine par sa finitude ? Serait-ce pour révéler une angoisse, une inquiétude, un rapport de force inégal ?



Couche de nuages

AUX PREMISSES DES MOUVEMENTS écologistes qui prennent leur envol une décennie plus tard, Robert Adams se pose en observateur du développement humain, soucieux d'en comprendre les ressorts, d'en archiver les répercussions, d'en condamner l'insouciance. Car l'homme tend à s'approprier l'espace comme un consommateur avec une soif infinie, un manque de considération inouï comme en témoigne Clatsop County, Oregon, fixé par Robert Adams en 2001. C'est un massacre en contre-plongée : sur le haut de la colline, dans le fond, se recroquevillent les arbres rescapés de la tronçonneuse. Serrés les uns contre les autres, leurs cimes semblent se pencher avec horreur sur les restes de leurs congénères en contre-bas. Ces derniers surviennent par bribes. Des troncs amputés, des racines arrachées, des branches exécutées jonchent le sol comme sur un champ de bataille. L'épaisse couche de nuages ne laisse guère transpercer les rayons du soleil, plongeant la scène apocalyptique dans une grisaille indicible. Le parterre de branches, troncs et feuillages amputés ressemble à une abstraction de Francis Bacon, une nature décimée par l'homme, vidée de son essence car réduite à son utilité pour lui. Ce qui empêche néanmoins de faire de la série Clatsop – qui retrace robert adams, robert, adams, lacma, los angeles, los, angeles, exposition, exhibition, county, museum, rétrospective, portrait, biographie, interview, citation, photo, photos, photographiel'histoire d'une déforestation industrielle – une simple campagne Greenpeace est l'attraction magique qui s'en dégage. Rebutante par son contenu, elle captive par sa forme, par cet amoncellement à la fois désordonné, violent. Le regard saute de branche en branche, décèle les brindilles éparpillées, retourne vers les arbres rescapés, embrasse cette déconstruction honteusement harmonieuse.

DANS PLUSIEURS ESSAIS que Robert Adams a dédiés à la beauté, il précise sa vision d'une fusion des contraires: l'existence simultanée de l'harmonie et de la discorde, de la beauté dans la laideur. Il rejette le romantisme d'aînés tels qu'Anselm Adams ou Edward Weston qui dévouent leur objectif à des paysages splendides, immaculés. Leur style emphatique lui paraît révolu, sans défi. A l'heure où le medium se démocratise, Robert Adams se détourne du sentimentalisme des clichés populaires et se frotte à la difficulté de déceler la beauté dans le vrai, le quotidien, de percevoir la saveur d'une scène apparemment choisie au hasard, banale. Pourquoi cette route plutôt qu'une autre ? Pourquoi ces feuilles mortes dispersées au gré du vent plutôt que celles qui s’élèvent du sol ? Les images de Robert Adams évitent de poser une construction théâtrale autour d'un sujet spectaculaire pour dissoudre un sens évident, attendu. "A l'image de beaucoup d'autres photographes, j'ai commencé à faire des images parce que je voulais restituer ce qui inspirait de l'espoir: le mystère intraduisible et la beauté du monde. Cependant, en chemin, l'objectif a également capturé les preuves hostiles à l'espoir et j'en ai finalement conclu qu'elles faisaient également partie de ces images si ces dernières devaient être vraies et donc utiles", se justifie le photographe dans l'introduction du catalogue d’exposition intitulé What Can We Believe Where ? pour expliquer sa ré-invention du pittoresque au profit d'une représentation engagée de l'environnement naturel violé, régulé par l'homme et ses désirs de puissance.



Soleil de plomb

L'AMBITION DU LIVRE, le beau dans la destruction, l'admirable dans une dépossession, est ce qui empêche les instantanés de Robert Adams de tomber dans un militantisme visuel sans retour, certainement tout aussi naïf que l'émotionalisme des photographes précédents. L'engagement citoyen et cette ambition d'éduquer sont partagés par les photographes de sa génération : Lewis Baltz ou Stephen Shore par exemple. Réunis ensemble avec sept autres artistes en 1975 lors de l'exposition dirigée par robert adams, robert, adams, lacma, los angeles, los, angeles, exposition, exhibition, county, museum, rétrospective, portrait, biographie, interview, citation, photo, photos, photographieWilliam Jenkins au George Eastman House à Rochester, New York, ces artistes donnent une nouvelle voix au paysage américain. Sous le titre New Topographics. Photographs of a man-altered landscape, les 168 clichés présentés n'attirent pas les foules mais changent l'histoire de la photographie en inscrivant la pratique dans l'art contemporain.

SE REVENDIQUANT DU DOCUMENTAIRE, tel que pratiqué par Walker Ewans, ces dix photographes produisent des clichés "sans qualité", neutres, à la limite de la neutralité objective : prise de manière frontale, sans affect, ces images n'exaltent pas la beauté de manière traditionnelle. Geste politique, cette impasse esthétisante se rapproche non seulement de l'art contemporain et de son insistance sur les qualités formelles du paysage, elle pousse également le regard à creuser le langage visuel sous-tendu par une démarche sociologique pour saisir l'affection ambivalente du photographe pour son sujet. Lorsque Robert Adams montre une silhouette féminine aperçue par la fenêtre d'une maison de banlieue dans Colorado Springs, Colorado, 1968, ses sentiments vis-à-vis du sujet semblent ambigus : se moque-t-il de cette vie de petite bourgeoise qui, installée dans une coquette maison, souffre d'isolement ? Est-il animé par la compassion pour cette âme errante au milieu du luxe de la civilisation ? Se place-t-il en voyeur d'espoirs déçus, de joies en devenir ? Le contraste entre l'habitation immaculée, desservie par une petite allée impeccablement entretenue d'une part et le soleil de plomb qui s'abat sur le toit ainsi que la femme, une forme humaine anonyme, seule, saisie de profil et en contre-jour d'autre part intrigue, désoriente.



Montagnes voilées de brume

robert adams, robert, adams, lacma, los angeles, los, angeles, exposition, exhibition, county, museum, rétrospective, portrait, biographie, interview, citation, photo, photos, photographieSON PROJET THE NEW WEST, que Robert Adams poursuit entre la fin des années 1960 et le début de la décennie suivante aime à dénoncer l'inhumain dans les projets de développements immobiliers qui défigurent l'Ouest américain. Alors que les promoteurs des projets avaient attiré les foules en leur promettant le paradis sur terre, les nouveaux arrivants découvrent une nature difficilement accessible au-delà de leur environnement artificiel, du moins réservée aux week-ends et vacances. Les clichés de cette époque rappellent ceux de Lewis Baltz par l'uniformité morose des maisons pavillonnaires et l'omniprésence du béton, accentuée par l'usage inconditionnel du noir et blanc et une tendance à sur-exposer les images, plongeant les scènes dans une luminosité amorphe. L'être humain est plus souvent présent indirectement par ses constructions, ses voitures, ses déchets que par sa propre matérialité. Mais lorsqu'il fait apparition dans les instantanés de Robert Adams, il est seul, souvent perdu dans un paysage désertique. Comme cet homme dans Colorado Springs, Colorado, 1969. Sur fond de montagnes voilées de brume, une plaine désertique accueille au premier plan une aire de construction. Le sol est creusé d'un carré de plusieurs mètres de longs et profond d'un mètre et demi dans lequel un homme s'affaire. Sur le côté brillent une échelle en aluminium, ainsi qu'une caisse à outils. Protégé sous son chapeau de cow-boy, l'homme leur tourne le dos, concentré sur la terre percée devant lui. Une métaphore pour une civilisation industrialisée qui creuse sa propre tombe ?

ROBERT ADAMS NE LIVRE PAS d'explication, il se contente de témoigner. C'est pourquoi les titres de ses clichés ne donnent qu'une information géographique, se veulent purement descriptifs, ni optimistes, ni nostalgiques. A l'image des photographes d'enquête qui accompagnaient les topographes, il souhaite saisir avec une acuité scientifique l'Ouest américain qu'il habite, qui l'habite. Après la guerre de Sécession, il s'agissait d'établir un recensement topographique précis afin de s'approprier ce vaste territoire. L'inconnu devait être photographier, cataloguer, nommer. Ce sont ces images de paysages sublimes, vierges de toute empreinte humaine qui se sont gravés dans la conscience collective américaine. Robert Adams a voulu, à travers son ontologie photographique d'une banalité trompeuse, redécouvrir ces espaces désormais changés, abusés par l'homme. En s'adossant aux techniques – limitées et donc économes de détails – employées par les photographes d’enquête, Adams joue du projet objectif, supposément non-sélectif, qu’il met au profit de ses fins subjectives. Il transcende les conventions visuelles pour changer les perceptions d'un paysage humanisé à outrance. Selon ses propres dires, Robert Adams rend inconnu un paysage pensé comme familier afin d'enjoindre le spectateur à mieux le voir, à mieux l’entendre lorsque l’objectif pointe les mouvements du vent : "Au mieux, les photographes d'enquête acceptaient les limitations qui s'imposaient à eux pour faire face au puzzle anti-théâtral qu’est l’espace – une scène sans centre. Les images qui en résultent dégagent une impression de banalité mais c'est exactement cette reconnaissance de la surface première des choses qui
robert adams, robert, adams, lacma, los angeles, los, angeles, exposition, exhibition, county, museum, rétrospective, portrait, biographie, interview, citation, photo, photos, photographieconfère toute sa légitimité à la prétention du photographe de saisir le paysage comme un tout cohérent."

A.K.
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à Los Angeles, le 14/05/2012

Robert Adams : The Place We Live
Jusqu'au 3 juin 2012
Los Angeles County Museum of Art
5905 Wilshire Boulevard
Los Angeles, CA 90036

Lun-Mar & Jeu 12h-20h // Nocturne Ven 21h // Sam-Dim 11h-20h
Tarif plein : $15 
Tarif réduit : $10
Gratuit -18 ans
Rens. : 323 857-600


 




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Crédit photos et légendes :
Vignette sur la page d'accueil : Longmont, Colorado, 1979 © Robert Adams, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco and Matthew Marks Gallery, New York.
Photo 1 : Ranch Northeast of Keota Colorado, 1969. © Robert Adams, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco and Matthew Marks Gallery, New York.
Photo 2 : Santa Ana Wash, Redlands, California, 1983, printed 1991. © Robert Adams, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco and Matthew Marks Gallery, New York.
Photo 3 : Colorado Springs, Colorado, 1968. © Robert Adams, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco and Matthew Marks Gallery, New York.
Photo 4 : Pikes Peak, Colorado Springs, Colorado, 1969. © Robert Adams, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco and Matthew Marks Gallery, New York.
Photo 5 : Quarried Mesa Top, Pueblo County, Colorado, 1978. © Robert Adams, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco and Matthew Marks Gallery, New York.