Episode 6 - Dessine-moi un vampire…
Vous vous souvenez comme si c'était hier du jour où Sunnydale a été détruite, vous ne dormez plus depuis cette fameuse nuit de 2004 où vous avez assisté, impuissant, à la dernière bataille d'Angel ? Joss Whedon et sa clique ont pensé à vous. Ils n'ont malheureusement pas pu filmer les événements qui suivent, mais rassurez-vous, ils les ont dessiné. Bienvenue dans la version comics de Buffy et Angel.
Intérieur. Couloir du lycée de Sunnydale. Nuit.
Deux lycéens, un garçon et une fille. Musique inquiétante. La pauvre lycéenne blonde va-t-elle succomber à cette soirée fatale ?
Pas vraiment. Nous ne sommes pas dans un mauvais film d’horreur, mais dans la scène d'ouverture de
Buffy contre les vampires, et cette jeune fille n'est pas ce qu'elle semble être. Elle s'appelle Darla, est morte depuis longtemps, et c'est elle qui compte bien se repaître du sang de ce jeune homme innocent. Avec Joss Whedon, il faut se méfier des apparences.
De 1997 à 2003, sur sept saisons, le réalisateur explore la vie de Buffy, une lycéenne qui a été choisie pour combattre les forces du mal mais qui souffre de ne pas pouvoir mener la même vie que les jeunes filles de son âge. Avec son groupe d’amis, surnommé le "Scooby Gang", elle passe ses nuits à tuer des vampires, déjouer les plans de redoutables démons et empêcher des apocalypses. Car tout ce petit monde vit à Sunnydale, petite ville de Californie, située malencontreusement au dessus d'une bouche de l'enfer.
Pendant les trois premières saisons, sa relation amoureuse tragique avec le vampire maudit, doté d’une âme, Angel, rythmera les épisodes. Il part alors à Los Angeles et ses aventures sont racontées dans les cinq saisons de la série dérivée qui porte son nom. Là, en quête de rédemption, il fonde une agence de détectives, Angel Investigation, pour aider les humains, avec l'aide de nouveaux personnages mais aussi de transfuges de Buffy, Cordelia puis Wesley notamment.
Entre humour dévastateur, décalage constant, culture pop et tragédie à l'antique, destinées fatales, lutte entre le bien et le mal, les deux séries explorent ce que l'on appelle le "
Buffyverse", cet univers fantasmatique, grandiose et profondément humain. Mais en 2004, la diffusion du dernier épisode d'
Angel, signe la fin de l'aventure. Les deux séries s’achèvent sur des moments d'apothéoses d'une pertinence remarquable qui bouclent les arches narratives de chacune d'elles, mais ouvrent également de nouvelles perspectives. C’est pourquoi, l'on ne peut que se réjouir de l'initiative de Joss Whedon, qui, déjà installé dans le monde des comics – sa série sur les
X-Men notamment a été saluée -, a décidé d'écrire une huitième saison de
Buffy en bande-dessinée, ainsi qu’une suite à
Angel et différents albums centrés sur des personnages du Buffyverse, des tueuses du passé ou de l’avenir. D'autres scénaristes comme Drew Goddard, Doug Petrie ou Jane Espenson sont de l'aventure.
Et le résultat, pour déroutant qu'il soit au départ du fait du passage d'un medium à l'autre, est à la hauteur des espérances. Tous les ingrédients sont présents : humour, relation entre les personnages, aventure, drame. Nous voilà de retour à la maison. Car l'une des forces des comics est clairement de se construire en continuité parfaite avec les séries originales. Il s'agit bien de la huitième saison officielle de
Buffy : les intrigues convergent avec ce que l'on entrevoyait d’ailleurs déjà dans la saison 5 d’
Angel. Dès l'ouverture du premier tome, le ton est donné avec la
private joke qui fait référence à l'épisode 20 de la saison 5 d’
Angel, et à la relation supposée de Buffy avec un vampire surnommé "
l'Immortel". La cohérence est complète tant au niveau des événements qu'en ce qui concerne la psychologie des personnages, élément fondamental sur lequel repose l'ensemble du Buffyverse. Les auteurs souhaitent exploiter au maximum les potentialités du projet et de nombreux personnages secondaires ou qui avaient disparus des séries font leur réapparition dans ce nouveau format : Harmony ou Dracula pour
Buffy, Gwen, Nina, Groo et bien d'autres pour
Angel.
Les problématiques abordées sont dans le prolongement direct des œuvres qui précédent mais proposent ici de nouvelles voies. Le format n'est pas le même, et si le fantastique était déjà une allégorie de la vie humaine dans les séries, poussant à l'extrême les situations que chacun peut rencontrer, la bande-dessinée peut aller encore plus loin sur ce chemin. Plus de limi
te à l'imagination, puisque n'importe quel événement ne coûtera pas plus cher qu'un crayon et du papier. Et l'on voit bien, dès les premières pages d'
Angel où celui-ci survole Los Angeles à dos de dragon, que Joss Whedon se venge de longues années de calculs budgétaires.
Les deux comics s'articulent autour de la problématique commune de la responsabilité, qui hantait déjà profondément les séries. Chacun des groupes, et parmi eux les deux héros éponymes en particulier, a fait un choix décisif à la fin de leur série. Le pouvoir unique de la tueuse est désormais partagée par des milliers de jeunes filles suite à leur activation, résolvant ainsi de façon magistrale le questionnement de Buffy sur sa destinée solitaire mais amenant aussi de nouvelles difficultés : dans un effet d'équilibrage, il semble presque que la masse des démons ait augmenté en même temps que les forces les combattant. Il s'agit donc désormais d'assumer ce choix et de prendre en main le nouvel ordre que le Scooby Gang a instauré. Dans
Angel, proposant une réponse à la lutte incessante entre le bien et le mal, le vampire a choisi d'emmener sa troupe dans une ultime bataille, une provocation contre les forces du mal, mais qu'il savait devoir finir tragiquement. Le basculement de Los Angeles dans une dimension démoniaque en est la conséquence directe. Le sacrifice a finalement mené au chaos et une lutte pour la survie s'installe.
Les bande-dessinées explorent ainsi de nouvelles configurations de l'intrigue : les personnages de
Buffy sont répartis dans le monde dans différents centres de commandements dont le principal, celui où officient Buffy et Xander, se trouve en Ecosse. Au point de vue localisé des sept premières saisons de
Buffy, se substitue une perspective mondiale dans la huitième, de l'Angleterre au Japon, en passant par l'Italie. Dans
Angel, Los Angeles a sombré dans une dimension démoniaque et les personnages sont eux aussi divisés dans différentes zones de la ville. Le sous-titre même de la série de comics :
After the fall ("Après la chute"), est particulièrement explicite : il s'agit désormais de gérer le chaos, protéger les humains dans un monde où règnent en maître les démons, alors que les personnages doivent affronter des situations personnelles particulièrement difficiles : Angel est redevenu humain mais personne ne le sait. Gunn est un vampire. Wesley, mort durant la dernière bataille de la série, est un fantôme au service de Wolfram et Hart… Whedon mène de front toutes ces destinées, avec toujours autant d'ingéniosité.
