Épisode 3 - Twilight, le mal qui ronge
La sortie de New Moon, deuxième volet de la quadrilogie Twilight, le 18 novembre, est attendue par des millions de fans comme l'évènement cinématographique de cette fin d’année... et ferait presque oublier que la saga est avant tout une aventure littéraire, au sein de laquelle la figure du vampire oscille entre tradition et douleur.
Tout commence en 2003, lorsqu’une Américaine du nom de
Stephenie Meyer décide de coucher sur le papier l'un de ses rêves : deux personnages, qui deviendront Bella et Edward, sont allongés dans une clairière idyllique alors que la jeune fille en apprend davantage sur la nature vampirique de l’homme qu'elle aime. Ce rêve donnera lieu à la fameuse "scène de la clairière" - The meadow scene, en version originale - chapitre 13,
Confessions). La suite est connue : Stephenie Meyer écrit les quatre tomes qui forment la saga
Twilight, au rythme d’un volume par an de 2005 à 2008, et l’aventure joue les prolongations avec la sortie des films. En France :
Twilight ou
Fascination en VF en janvier 2009,
New Moon ou
Tentation en novembre 2009,
Eclipse ou
Hésitation probablement à l’été 2010, et enfin,
Breaking Dawn ou
Révélation qui n’a pas encore reçu de validation.
En dehors du cercle de ses fervents lecteurs, la saga essuie régulièrement des salves de critiques. On lui reproche une trop grande naïveté, notamment dans le traitement de la figure du vampire. La famille des Cullen est en effet "végétarienne", c'est-à-dire qu'elle ne se nourrit que d’animaux et non pas de sang humain.
"Nous nous traitons parfois de végétariens en guise de petite plaisanterie familiale", explique ainsi Edward à Bella. Pourtant, ce n’est pas le premier exemple d’un vampire en quête de rédemption qui souhaite aller contre sa nature monstrueuse, et évite de consommer des êtres humains. Il suffit de penser à Angel dans l’univers des séries de Joss Whedon (
Buffy contre les vampires et
Angel).
Beaucoup reprochent également le choix de la narration à la première personne du singulier. Le point de vue adopté est celui d’une adolescente, Bella, obsédée par Edward et, par conséquent, la narration use souvent d'hyperboles. Mais précisément, ce point de vue adolescent fait partie du pacte de lecture de la saga et l'aspect sentimental exacerbé peut être pris au premier degré ou au second degré. Une fois ce pacte accepté, certaines descriptions d’Edward par Bella prêten
t ainsi à sourire et même à rire : par exemple cette description inoubliable des cheveux mouillés d'Edward. Ils
"dégouttaient, ébouriffés ; pourtant [Edward] donnait l’impression de sortir d’une pub pour un gel coiffant", écrit la jeune fille. Au-delà de l’obsession et du culte que voue Bella à son vampire, le récit s'inscrit aussi dans la tradition du personnage vampirique qui use de son charme irrésistible pour séduire les humains et éventuellement en faire ses proies.
Au fil des pages, le personnage d'Edward, adulé par Bella, dévoile son côté obscur, tendant vers la dépression et l'excès. Ainsi, peu de temps après leur rencontre, il avoue de manière mélodramatique que le temps d'un weekend l'a "torturé" parce qu’il était loin de Bella. De même, dans
Eclipse, Edward refuse obstinément que Bella revoit son ami Jacob qui, devenu loup-garou, représenterait un danger trop important selon lui. Le vampire a également un sens aigu de la mise en scène dramatique, le meilleur exemple étant celui de sa propre mort en Italie à la fin de
New Moon. Cette part d’excès illustre le décuplement de chaque émotion ressentie par Edward : le personnage a 17 ans depuis près d’un siècle. Ecrasé sous le poids de la solitude, il n'a jamais connu l'amour avant Bella.
Edward représente aussi une porte d'entrée, pour le lecteur, dans le monde du fantastique et la mythologie du vampire. La saga
Twilight offre sa propre version du mythe tout en reprenant des éléments traditionnels. Chez Stephenie Meyer, le vampire est une sorte d'être de
granit surpuissant, ne dort jamais, peut être pourvu de certains dons, et ne peut être tué qu'après avoir été démembré puis brûlé. Dans la famille Cullen, Edward lit les pensées des humains, comme des vampires, Alice perçoit des fragments de l'avenir, tandis que Jasper influe sur les émotions ressenties par les gens.
Le monde des vampires, bien que profondément individualiste, compte quelques familles (les "coven" en anglais), dont la plus importante est celle des Volturi, qui réside à... Volterra en Italie. Elle fait figure d'autorité et est là pour faire respecter les quelques lois qui régissent l'existence de ces créatures. Au fil de la saga, les Volturi se révèlent bien plus intéressés par la pêche aux vampires aux dons puissants plutôt que par l'application de la loi pure. Les trois frères Volturi, Aro qui peut lire tout l'historique de la pensée d’une personne, Caius qui sent les relations entre les individus, et Marcus, sont entourés d’une garde uniquement composée de vampires aux pouvoirs effrayants. Les figures les plus inquiétantes sont certainement les deux jeunes : Alec, qui peut plonger dans le néant l’esprit de quelqu’un, et Jane qui peut torturer par la pensée.
Chez Stephenie Meyer, devenir vampire amplifie les traits de caractère ou les habiletés physiques que l'humain possédait en substance. Dans le quatrième tome, il est donné au lecteur de vivre de l’intérieur la transformation de Bella en vampire, son réveil, la découverte de son nouveau corps accompagné de ses capacités surhumaines. Ainsi, Bella, qui était la seule humaine dont les pensées n’étaient pas accessibles pour Edward, se montre hermétique à tous les pouvoirs agissant sur l'esprit et acquiert celui d'immuniser les gens qu'elle choisit de protéger. On le voit, au fur et à mesure des différents tomes et notamment dans le quatrième, l'auteur explore différents aspects de son univers imaginaire et varie les points de vue. Ainsi, les flash-back des Cullen (Carlisle, Rosalie ou encore Jasper) racontant leur transformation apportent des éléments supplémentaires à la mythologie du vampire.
Autre particularité fondamentale du monde inventé par Stephenie Meyer : le conflit avec les loups-garous. Le vampire trouve sa Némésis dans cette espèce dont la mission sur Terre est de protéger les humains contre les buveurs de sang. L'histoire des loups-garous, dans le roman, prend racine dans les légendes du peuple Amérindien des Quileutes. A la fin de
Breaking Dawn, on apprend d’ailleurs que Jacob et son clan sont en réalité des métamorphes ou "shape-shifters" en anglais (homme pouvant prendre l’apparence d’un animal), plutôt que de véritables loups-garous qui, eux, ne contrôlent pas leurs transformations et sont dépendants des cycles de la lune.
La nature "végétarienne" des Cullen leur a permis de convenir d'un traité de non-agression sur leurs territoires respectifs. Le traitement original de cette espèce, pourtant déjà maintes fois abordée dans la littérature ou au cinéma, propose une hiérarchie de clan autour d'un loup-garou dominant, dont les ordres sont inévitables pour les autres membres du clan. Tous les membres entendent en permanence les pensées des autres, ce qui est un avantage stratégique indéniable, mais un fardeau au quotidien pour la vie en communauté. Chez Stephenie Meyer, l'Autre, qu'il soit vampire ou loup-garou, paye lourdement sa condition de marginal.
