Épisode 5 - La féminité dans True Blood 
Alan Ball, le créateur de Six Feet Under, s'est lui aussi frotté au mythe du vampire dans la série télévisée True Blood, inspirée des romans de Charlaine Harris, La Communauté du Sud, et diffusée aux Etats-Unis depuis septembre 2008 sur la chaîne privée HBO, réputée pour ses fictions novatrices et de grande qualité. Pourtant, la série vampirique met en scène de façon caricaturale la guerre des sexes.
 
Le principe de True Blood est simple : les vampires décident de sortir de l'ombre et vivent au grand jour, parmi les humains, la découverte d'un substitut synthétique du sang permettant désormais une cohabitation pacifique entre les deux espèces. Mais l'intégration ne se fait pas sans peine et des tensions entre les deux surgissent rapidement, l'animosité se dégageant des deux cotés.  La série se focalise sur l'itinéraire de Sookie, une jeune serveuse de Louisiane qui rencontre Bill, un mystérieux vampire. 

Quand True Blood a été diffusée pour la première fois sur HBO, beaucoup ont spéculé sur la signification symbolique que semblaient avoir ces vampires. Dès le générique de la série, on peut ainsi lire sur un panneau posé devant une église :  "God hate fangs" ("Dieu déteste les canines!"), écho à la formule homophobe "God hate fags" ("Dieu déteste les pédés"). Alan Ball, le créateur de la série, étant ouvertement homosexuel, le glissement s'est opéré rapidement : cette inscription semblait signifier que les vampires représentaient ici les homosexuels qui cherchent à être acceptés dans une société hétéro-normée en "getting out of the coffin" (ils doivent sortir du "cercueil", et non du "placard"). Dans Our Vampires, Ourselves, Nina Auerbach affirme que les vampires sont le reflet de notre temps, de ses conflits et de nous-mêmes. Mais, comme Adam Sternbergh l'explique dans un article du New York Magazine, ces vampires ne sont pas si faciles à interpréter. Peut-être symbolisent-ils les homosexuels, mais peut-être figurent-ils aussi les afro-américains, les athées, les hédonistes… 

Au-delà de ce débat sur l'interprétation apparemment progressiste et ouverte de l'oeuvre, le visage des femmes que dessine la série dans sa première saison ne semble pas aller dans la même direction. True Blood semble naviguer entre deux eaux, alignant certains archétypes féminins pour mieux en dynamiter d'autres. Bien sûr, dans un programme qui donne une importance centrale aux rapports sexuels, les vierges sont presque absentes. Mais l'on peut tout de même regrouper les femmes de la série en deux catégories : celles qui peuvent paraitre faibles comme Sookie ou sa grand-mère, figures maternelles et douces, qui agacent précisément par leur faiblesse, et celles qui sont puissantes mais hargneuses, par exemple Tara, meilleure amie et exact opposé tant physique que morale de Sookie.

Mais très vite, les masques tombent. Le personnage de Sookie, en effet, cache un lourd secret. Dotée de pouvoirs télépathiques, elle n'est pas sans ressource en plus d'un petit caractère bien trempé. Ainsi, dans le premier épisode, intitulé "Strange love", elle n'hésite pas à la prendre la défense de Bill, vampire nouveau venu, face à la vindicte populaire. Fascinée par Bill, premier être dont elle n'arrive pas à déchiffer les pensées, elle trouve auprès de lui refuge et réconfort. Ainsi, très vite, dans un monde rude et rural, ce sont presque toujours des hommes - Bill, Sam ou Eric - qui la protègent lorsque l'utilisation de ses pouvoirs fait d'elle une menace, et donc une cible de choix. Certains moments de la série laissent cependant penser qu'elle possède une réelle puissance propre, amenée à s'épanouir mais qu'elle ne maitrise pas encore totalement. On pense alors aux séries de Joss Whedon - Buffy contre les vampires, Dollhouse... - , maître ès héroïnes féminines. 

 
De son coté, Tara, toute en muscle et rage bouillonante, est très vite dépeinte comme un personnage attachant et écorché vif sous sa carapace. Recueillie enfant par la grand mère de Sookie pour la sortir de l'emprise de sa mère alcoolique, elle se revèle être une jeune femme en manque de repères et qui repousse tout ceux qui tentent de s'approcher d'elle - si besoin à coups de poings. Ainsi, en dépit d'une hétérosexualité affirmée, elle confie à son cousin ne trouver personne qui lui convienne. Sa puissance, attribut traditionnellement masculin, semble l'empécher d'accéder à une véritable relation intime et satisfaisante.

Certaines femmes sont également décrites comme faibles et prisonnières de leurs émotions. Ainsi, dans la deuxième saison, l'épouse du chef de l'Église tire dans la poitrine de son amant, Jason, apprenant qu'il est du côté des vampires. Mais dans l’épisode suivant, on apprend que le pistolet utilisé est en fait un jouet très réaliste qui ne projette que des projectiles de peinture inoffensifs. Jason, indemne, la maîtrise facilement et l'abandonne tout aussi vite. Ce moment est un bon exemple de la place attribuée aux femmes dans cette série : tout à la fois fascinées par les hommes et incapables de supporter leur lâcheté.
  
Il en va de même pour Jessica,  jeune vampire, qui paraît être un personnage potentiellement puissant, mais qui, comme d'autres femmes, est soumise : elle est jeune, naïve, vierge et elle est surtout l'élève de Bill. De plus, nouvellement mordue, elle se laisse souvent dominer par ses instincts quand elle exerce sa puissance, et montre alors très peu de compassion vis-a-vis de ses victimes.
 
À la fin de la deuxième saison, un nouveau rapport entre les vampires masculins et féminins s'esquisse enfin, avec l'arrivée de Sophie-Anne, la reine des vampires de Louisiane. Crainte par tous, elle est plus puissante que le reste des vampires et, par ailleurs, dotée d'un appétit polysexuel féroce, avec une préférence pour le saphisme. Cet élément de caractérisation du personnage laisse imaginer que cette femme  va pouvoir sortir des stéréotypes évoqués précédemment. En tant que femelle dominante, on peut penser qu'elle n'aura pas les mêmes rapports avec les personnages masculins. Comme Monique Wittig l'a expliqué dans On ne naît pas femme, à cause de l'absence de rapport avec les hommes, les lesbiennes peuvent se libérer de ces cadres. Wittig joue avec cette idée dans son livre Les Guerrillères où des femmes se battent contre les hommes et parviennent à les vaincre. Ici, Sophie-Anne pourrait en effet être une force à ne pas négliger. Dénuée de toute émotion visible, elle semble faite de bois, et n'est pas intéressée par les problèmes humains - elle préfère jouer au Yahtzee, un jeu de dés, comme on le voit dans les épisodes "Frenzy" et  "Beyond Here Lies Nothin". 

Bien sûr, Sophie-Anne pourrait devenir un personnage important et intéressant dans la troisième saison, Jessica pourrait grandir et s'adoucir comme Bill, et Sookie pourrait apprendre à utiliser ses pouvoirs. Mais, après deux saisons, l'espoir commence à se perdre.
 

True Blood, série américaine créée par Alan Ball en 2008
Avec Anna Paquin, Stephen Moyer, Ryan Kwanten...
HBO

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