L`Intermède
Dossier spécial
17 jours à New York

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Mardi 11 octobre 2011
"A nervous romance". C'est dans cette catégorie que Woody Allen classe son film Annie Hall (1977), qui marque sa cinquième collaboration avec la comédienne Diane Keaton - alors ex-compagne - avant à nouveau quatre films tournés ensemble par la suite. Nombreux sont les adeptes du cinéaste à voir dans Annie Hall un concentré de son oeuvre : personnage névrotique, affection du bavardage, amour de New York, psychanalyse, humour juif... Et la façon dont il brise l'illusion de la scène en s'adressant à plusieurs reprises à la caméra, en faisant voyager les personnages dans l'enfance du protagoniste, ou en insérant une scène animée.

Pour ma part, c'est surtout le basculement dans un ton doux-amer, après une série de comédies aux accents de farces et légères comme une plume - Bananas, Tout Ce Que Vous Avez Toujours Voulu Savoir Sur Le Sexe (Sans Jamais Oser Le Demander)... -, qui m'a marqué. Ce même sens de la nuance, cet équilibre subtil entre l'humour et le désespoir qui m'a ému tout au fil de la filmographie de Woody Allen - que ce soit dans La Rose pourpre du Caire (1985), Alice (1990) ou encore Vous Allez Rencontrer Un Bel Et Sombre Inconnu (2010).

Le titre même d'Annie Hall, à l'origine, devait être Anhedonia, concept psychanalytique qui désigne l'incapacité à éprouver du plaisir. "I had the courage to abandon... just clowning around and the safety of complete broad comedy, indique le cinéaste à Stig Bjrkman dans un ouvrage paru en 1993*. I said to myself, 'I think I will try and make some deeper film and not be as funny in the same way. And maybe there will be other values that will emerge, that will be interesting or nourishing for the audience.' And it worked out very very well." Je fais justement partie de ceux qui pensent que Woody Allen n'est jamais aussi bon que lorsqu'il se laisse aller à la tristesse enrobée dans une fausse joie de vivre, à l'instar de Crimes et Délits (1989), voire quand il cède à la cruauté du destin, comme dans Match Point (2006) ou Le Rêve de Cassandre (2007).

Si une grande partie d'Annie Hall se déroule à Manhattan - terrain de jeu allenien par excellence -, la scène qui fait glisser le film dans la mélancolie est un flashback sur l'enfance d'Alvy Singer (joué par Allen lui-même) qui se déroule à Brooklyn. Car le personnage a grandi dans une maison sous le Thunderbolt, ces célèbres montagnes russes en bois qui, de 1925 à 1982, ont fait trembler la presqu'île de Coney Island.

Il faut une bonne heure de métro pour atteindre Coney Island, tout au Sud de New York. En ce mois d'automne, les deux parcs d'attraction en bordure de l'océan Atlantique ne sont ouverts que le week-end. Quand Moze et moi arrivons sur place ce mardi, les rues sont quasi désertes. Le ciel n'est bleu que pour quelques instants encore, déjà les nuages s'amoncellent ; bientôt, une chape de gris recouvre les environs. Vieilles enseignes de magasins, attractions éteintes et usées derrière des grillages, routes larges, trottoirs sales et seules quelques âmes qui vivent. Au bord de l'eau, les mouettes et trois pêcheurs à la ligne semblent attendre quelque chose qui ne vient pas. Le temps se suspend, entre hier et aujourd'hui, entre l'écho des cris des touristes dans les manèges et le silence de la mer. Arrivés à la pointe de la presqu'île, nous nous asseyons sur les rochers, face aux vagues, et nous écoutons You Should Talk de Yuksek (à découvrir ici).

Puis nous dégustons l'un des fameux hot-dogs de Nathan's - institution locale -, à une terrasse où les tables en ciment ont chacune un parasol en plastique jaune ou rouge. Il n'y a quasiment personne autour de nous, et c'est la première fois que je sens le vent balayer New York, si cet endroit est bien encore New York.

Sur la route du retour, nous entrons dans un vieux magasin qui vend des livres d'occasion. Dans les montagnes de dizaines de milliers d'ouvrages empilés dans des étagères et des cartons, nous avons du mal à nous frayer un chemin. A tout hasard, je demande au maître des lieux s'il a L'Attrape-coeur de J. D. Salinger (The Catcher in the rye, 1945). Celui-ci fait un demi-tour sur lui-même, tend le bras, attrape un livre orange et me le dépose entre les mains, en à peine cinq secondes.

Dans le métro, j'ouvre la première page du roman, lis la première phrase : "If you really want to hear about it, the first thing you'll probably want to know is where I was born, and what my lousy childhood was like, and how my parents were occupied and all before they had me, and all that David Copperfield kind of crap, but I don't feel like going into it, if you want to know the truth."



* Stig Bjorkman (ed.) Woody Allen on Woody Allen, London: Faber and Faber, 1993, Revised Edition 2004

Image : Antony Duchemin

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