L`Intermède
Dossier spécial
17 jours à New York


new york, new, york, tiffany, louis comfort, cathedral, church, saint john, the divine, columbia, university, harlem, apollo, studio museum, spiral, exposition, hell`s kitchen, library, bibliothèqueJeudi 13 octobre 2011
La bruine a commencé à envelopper la ville aux alentours de 16 heures. Je sortais alors de la monumentale Cathedral Church of Saint John the Divine, au nord-ouest de Central Park, dont la construction a commencé en 1892 et n'est toujours pas achevée. Une cathédrale néogothique unique à bien des égards, tant par ses proportions - la nef centrale fait 183 mètres de longueur - que par ce qu'il s'y joue : les multiples chapelles accueillent en permanence des oeuvres d'art contemporain. Depuis quelques semaines, et jusqu'en mars, ce sont des créations originales sur le thème de l'eau, fabriquées au cours des deux dernières années par de multiples artistes, qui dialoguent avec le lieu sacré. Sur une colonne, des bulles de lumière remontent vers la surface. En face d'un tableau montrant le Christ en croix, la vidéo d'une cascade projetée à même les pierres. De l'autre côté de la nef, une série de gravures où la prolifération des traits semble mimer le déluge. Dès l'entrée, un filet de pêche est suspendu entre deux des vitraux de la cathédrale. Le tout enrobé de ce qui semble être une improvisation sur l'orgue, les notes étant jouées une à une sans qu'une ligne mélodique se dégage, et qui accompagne la vue du plafond sombre du dôme central, dont l'absence de couleur empêche de discerner les traits et donne l'impression d'un trou noir sans limite qui pourrait tout absorber.

La faible lumière des lieux, outre les cierges et quelques lampes, provient des vitraux éclatants de bleu. Ce même bleu céruléen qui point dans les vitraux de Louis Comfort Tiffany, dont certains recouvrent la Church of Incarnation sur Madison Avenue. Le corps de l'artiste new-yorkais, mort en 1933, repose quant à lui au cimetière de Green Wood, à Brooklyn, que Moze et moi avons vu depuis la ligne de métro aérienne F pour descendre jusqu'à Coney Island. Et bon nombre de ses travaux sont exposés au Met, dont notamment un panneau qui déroule sur trois volets une symphonie de rouge, violet, jaune, bleu et vert pour constituer un paysage tel qu'il n'en existe nulle part sur terre, comme un crépuscule et une aurore se fondant en un même lieu, en un même instant. Maître de la couleur sur verre, s'inscrivant dans le mouvement de design Art & Craft, Tiffany a oeuvré sa vie durant à élaborer vases, lampes, vitraux et bijoux d'un raffinement et d'une délicatesse infinis, dont les teintes sont sublimées par la lumière qui les traversent. Le musée du Luxembourg lui avait d'ailleurs consacré une très belle rétrospective, en 2009. Mais revenons à la Cathédrale.



Sur le bas-côté de l'édifice, au moment où je sors, un écureuil attrape une noisette, s'installe sur la branche la plus basse d'un 
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arbre, me jette un coup d'oeil et, voyant que je ne lui veux aucun mal, fait tourner à toute vitesse l'aliment entre ses griffres, le dépeçant peu à peu jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une miette. Il court alors jusqu'à la cime du chêne et rejoint le ballet d'animaux à poils roux qui sautent d'arbre en arbre. New York est envahie par les écureuils. Il y en a également qui rôdent dans les allées de la Columbia University - la plus ancienne université de l'Etat de New York, inaugurée en 1754 -, que j'ai visitée quelques instants auparavant et qui se trouve juste au-dessus de la cathédrale. Véritable temple du savoir, de l'enseignement supérieur et de la recherche, la Columbia compte 71 bâtiments qui accueillent plusieurs dizaines de milliers d'étudiants chaque année, dans tous les domaines. Outre les salles de cours, le lieu est surtout réputé pour son architecture : la Low Memorial Library, superbe exemple d'architecture classique qui sert aujourd'hui à des réceptions, mais aussi la Low Plaza, pensé comme un amphithéâtre grec - l'on voit d'ailleurs les noms de poètes et philosophes grecs et latins gravés en majuscule sur le frontispice de la Butler Library - ou encore l'Alfred Lerner Hall, segment de verre et de métal qui se fond dans l'ensemble de briques rouges.

Ces deux lieux - la cathédrale et l'université - sont à la lisière de Harlem, le quartier que je visite ce jeudi après y être brièvement passé il y a dix jours pour assister à une messe en gospel. Il s'étend sur la quasi-totalité du nord de l'île, au-dessus de Central Park, et accueille l'essentiel de la communauté afro-américaine de la ville. Sur les trottoirs, un groupe d'homme assis sur des chaises roulantes disserte sur l'utilité de réparer un vélo ; dans les boutiques, les perruques et extensions capillaires pour cheveux crépus occupent une place de choix. Sophie, qui habite dans le quartier, me fait passer devant l'Apollo Theater, institution nationale du jazz dont le parterre frontal accueille un petit "walk of fame" avec les noms de ceux qui s'y sont produits : Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Diana Ross & The Supremes, Patti LaBelle, Marvin Gaye, Stevie Wonder, Aretha Franklin, Smokey Robinson, Lauryn Hill, Michael Jackson... A deux pas se trouve le Studio Museum of Harlem, petit musée consacré exclusivement à l'Histoire de l'art afro-américain et qui accueille actuellement une belle exposition consacrée au groupe d'artistes Spiral, fondé en 1963 suite à des manifestations pour l'emploi et la liberté - March on Washington for Jobs and Freedom.

Dehors, la bruine ne s'arrête pas. Ni quand Sophie et moi buvons un thé sur l'escalier de secours de son appartement, au-dessus de la rue pour entendre la rumeur de la ville ; ni quand je dépose mes bagages chez des cousins qui m'hébergent pour mes trois dernières nuits à Manhattan, en plein quartier de Hell's Kitchen ; ni quand je retrouve Mathieu, qui habite à deux blocs, plus tard dans la soirée pour qu'il me fasse découvrir les bars des environs.

A 3 heures du matin, l'humidité chaude étreint les rues de New York. Des vagues de brouillard ricochent sur les gratte-ciels, dont on ne perçoit plus les sommets. Les lumières de la ville se difractent dans l'air épais. On dirait presque qu'il fait jour.



Image : Guillaume Jamet

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