L`Intermède
Dossier spécial
17 jours à New York

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Vendredi 7 octobre 2011
"Le Chelsea attirait, comme une grotte féerique, des personnages venus de tous les mondes. Une femme réalisatrice, dont le nom m'a échappé, vivait au dernier étage dans un petit appartement où des serpents tropicaux se tordaient lentement dans des vitrines. Elle élevait aussi des iguanes et des varans, reptiles antiques appelés à la rescousse de la nouveauté. Nous y avons connu de doux retraités et des hurleurs, des prophètes, des silencieux, des anonymes parlant une langue inconnue et même un gourou indien à la barbe grise."

Dans cette foule que décrit Jean-Claude Carrière au sein du Chelsea Hotel (Les Années d'utopie, 1968-1969, ed. Pocket), il y a eu Patti Smith et Robert Mapplethorpe. A elle la peinture, les poèmes et la chanson, à lui le noir et blanc sur papier glacé. Les deux amants et muses réciproques y ont vécu au tournant des années 1970, ce que raconte avec beaucoup de tendresse et de romantisme Smith dans le livre Just Kids (Denoël, 2010), paru vingt ans après la mort de son compagnon de route.

J'ai découvert le travail de Robert Mapplethorpe à Oxford, et j'ai déjà eu l'occasion d'en parler ici-même. J'ai recroisé sa route lors de l'exposition collective Deadline au Musée d'Art Moderne de Paris, puis récemment dans une rétrospective au Fotografiska, à Stockholm. L'ouvrage de Patti Smith, publié il y a environ un an en France, m'a fait me sentir plus proche encore de cet homme rongé par la vie, dont les nombreuses photographies de fleurs et statues, léchées et trop parfaites pour être honnêtes, sont comme le négatif de son caractère incandescent. Femmes athlètes, corps imberbes aux muscles saillants, lys en forme de verges, portraits de célébrités le regard perdu... C'est tout cela qui me revient en tête, quand Philip et moi passons devant le Chelsea Hotel ce vendredi après-midi, sur la 23e rue.

La journée était déjà placée sous le signe de l'instantané - nous l'avions commencée avec la visite de l'International Center of Photography sur la 6e avenue. Trois expositions, pour autant d'approches contrastées du médium : une plongée dans le New York de la grande dépression en noir et blanc avec la première exposition d'envergure consacrée au Danois Peter Sekaer, une sélection des meilleures clichés publiés dans Harper's Bazaar depuis dix ans, et une exposition-hommage au 11 septembre (...). Sitôt sortis, nous comptons les heures qui nous séparent du départ de Philip en ricochant d'un quartier à l'autre, profitant de cette dernière journée ensemble. 

Nous filons d'abord à l'Est, direction le siège de l'ONU. Pour le militant des Droits de l'Homme que je suis, pouvoir visiter des lieux aussi emblématiques que la salle du Conseil de sécurité mais, surtout, celle de l'Assemblée générale, est une réelle émotion autant qu'un honneur. Ce territoire international qui n'appartient à personne, où chacun des 193 pays présents a autant de poids que n'importe quel autre, quelle que soit la taille de sa population ou sa richesse, et qui a permis de faire progresser l'accès à la santé et l'éducation dans le monde entier, promu la paix, lutté contre les discriminations et pour les Droits de l'Homme, incarne pour moi une forme d'idéal politique.

Après un détour par la discrète mais superbe Morgan Library, réputée pour ses archives sur Charles Dickens - c'est d'ailleurs une exposition sur ses correspondances qui s'y tient et révèle, au fil des lignes calligraphiées avec élégance, le caractère particulièrement anxieux de l'auteur d'A Christmas Carol et d'Oliver Twist, qui semble s'excuser en permanence d'écrire -, nous partons profiter du soleil au zénith sur les bords de l'Hudson River, sur le flanc ouest, avant de rejoindre à nouveau la croquignolette Bleecker Street. Un cupcake à la vanille, un brownie au beurre de cacahuète et un pudding à la banane sous le bras, nous continuons d'explorer le quartier de Greenwich Village, faisons notre pélerinage devant le Stonewall Inn - ce bar où, en 1969, ont éclaté les premières émeutes qui donneront, dès l'année suivante, naissance au mouvement des Gay prides - puis découvrons, derrière des murs en briques rouges, le jardin d'une Eglise où nous pouvons engloutir notre goûter, assis sur un banc, à l'ombre.

Autant de calories que, à une heure avancée dans la nuit, nous brûlerons sur une piste de danse, avant d'en reprendre une louche chez Veleska, diner ukrainien célèbre dans toute la ville, ouvert 24 heures sur 24, où nous dégustons un english breakfast à 4h30 du matin. La température se prête à une dernière marche nocturne, nous remontons à pied la 5e avenue. Nous songeons un instant à rester éveillés pour voir le soleil se lever, mais nos paupières nous invitent à être raisonnables. Nous cédons à la tentation d'un taxi jaune, pour le plaisir de nous blottir pour quelques instants encore sur une banquette en cuir noir et voir défiler, derrière la vitre, les buildings et panneaux lumineux de la belle et noctambule Manhattan.



Image : Guillaume Jamet

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