L`Intermède
Dossier spécial
17 jours à New York

Vendredi 30 septembre 2011
Se lever sur la 5ème avenue, avoir encore un goût de bagel dans la bouche quand l'ascenseur fait défiler 86 étages en une minute pour arriver à la terrasse de l'Empire State Building, prendre la mesure de l'immensité de la ville et de ses bâtiments, changer d'hôtel pour aller sur Broadway, acheter un appareil photo, plonger dans Central Park avec un chocolat chaud dans le ventre, prendre une barque et ramer pendant une heure sur un lac, descendre jusqu'à Little Italy pour manger dans "le meilleur restaurant italien de New York" (dixit Guillaume), garder une place pour "les meilleurs cookies de New York" (dixit Guillaume) qu'on peut commander en livraison dans un magasin jusqu'à 3 heures du matin, et finir dans un bar sous-terrain où les gens jouent au ping-pong en écoutant du free jazz (grâce à Guillaume). Il paraît que c'est comme ça tous les jours, dans cette ville.

Quand on m'a dit que New York avait "une âme", j'avais du mal à y croire. Mais que ce soit la veille au soir, quand Philip et moi avons marché sans plan dans le coeur de Manhattan et découvert le magnifique Chrysler Building ou le plafond étoilé de la Grand Central Station, ou pendant cette première journée qui n'a fait que renforcer mon impression de me balader dans un décor de cinéma grandeur nature, il y va d'une vibration incroyable. J'aime cette fumée qui s'échappe continuellement de certaines bouches d'égoûts, cette capacité qu'ont les rues de passer d'un filet d'oignons grillés à une odeur de pisse à peine séchée, ces escaliers de secours en fer qui jonchent les façades des immeubles, ce "melting-pot" qui colore les rues, et surtout ce bouleversement des échelles qui vous fait sentir tant minuscule que tout-puissant. "If you can do it here, you can do it anywhere" ("Si vous pouvez y arriver ici, vous pourrez y arriver partout"), clame d'ailleurs un écran publicitaire au sein de l'Empire State Building. Cette forme d'auto-glorification permanente, mise en relief avec ce que la ville en son architecture et ses habitants mêmes trahit des fossés de niveau de vie qu'il existe d'une rue à l'autre, est vertigineuse. 

J'ai toujours été épaté par la méritocratie américaine, cette volonté de faire fonctionner à plein "l'ascenseur social" - même si je déteste cette expression -, ce mythe d'une société où chacun a sa chance, du moment qu'il la saisit. Je ne me fais bien entendu pas d'illusion sur les chances de réussite d'un jeune Américain ayant pu se payer des études à la Columbia University d'un autre qui n'a pas l'argent pour poursuivre sa new york, on the town, un jour à new york, ann miller, gene kelly, frank sinatra, new, york, journal, blog, cookies, empire state building, chrysler, central park, claquettes, broadway, times squareformation dans l'enseignement supérieur. Mais il y a, indéfectiblement, ce sens de l'effort prôné en valeur suprême qui, s'il a directement contribué à ériger le travail comme alpha et omega de l'existence au détriment du reste, a aussi permis de faire émerger une forme de perfectionnisme qui, dans certains domaines, me subjugue.

C'est tout particulièrement le cas pour les comédies musicales. J'ai passé cette première journée à entonner les premiers pieds du refrain de la chanson d'ouverture du film On The Town (Un Jour à New York en français) : "New York New York It's a wonderful town." Réalisé en 1949 par Stanley Donen et Gene Kelly, qui y tient le rôle principal aux côtés de Frank Sinatra, ce long métrage à la gloire de la grosse pomme - deux marins en permission pendant 24 heures vont découvrir tous les trésors dont la ville recèle et tomber, bien entendu, amoureux - m'a surtout marqué pour une séquence d'une virtuosité étourdissante. Ann Miller, immense claquettiste, y interprète une paléontologue que les deux jeunes hommes rencontrent dans l'American Museum of Natural History, à la lisière de Central Park. En passant devant, cette après-midi, j'ai repensé à la chanson qu'ils entonnent tous alors, "My Prehistoric Man", dont les deux premiers tiers sont une ode humoristique à l'Australopithèque, avant un dernier tiers où les cuivres et les percussions prennent le relais pour faire danser une Ann Miller survoltée (voir la vidéo ici). Sa robe verte, son brushing, son sourire immaculé qu'elle garde de bout en bout, son humour tout autant que sa fièvre font qu'à chaque nouveau visionnage de cette scène, je suis toujours aussi bluffé.

J'aurai l'occasion de revenir sur Broadway, mais je ne pouvais pas ne pas commencer par-là. Il est 3h16 du matin, heure locale, et je viens de voir par la fenêtre de la chambre d'hôtel les panneaux lumineux de Times Square se refléter dans le macadam encore humide de la pluie qui a enveloppé la ville ce soir.